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procure le pouvoir absolu. L’effort des hommes qui ont voué à la liberté un amour sincère, et qui ne se laissent décourager, ni par quelques folies passagères, ni par les défaillances de l’esprit public, doit être de faire prévaloir autant que possible, dans toutes les branches de notre droit public, le régime purement répressif. C’est le plus sûr moyen de réveiller le sentiment de la responsabilité personnelle ; c’est le plus sûr moyen de soulager le gouvernement de cette foule d’attributions dont il est écrasé, qui habituent les citoyens à se tourner vers lui et à se croiser les bras dans toutes les occasions difficiles, l’accusant de ce qu’il ne peut empêcher, lui demandant ce qu’il ne peut faire.

S’il est un ordre d’intérêts sur lequel il importe de le dégager de toute solidarité, ce sont, à coup sûr, les intérêts religieux, car il n’en est pas qui soulèvent plus de résistance, de plaintes et d’animosités. Avec le système des autorisations, le gouvernement est érigé en juge de la morale, de la tendance, de la hiérarchie, des statuts des cultes nouveaux. On consent bien, on le dit du moins, à ne pas lui déférer l’examen du dogme ; mais, surtout pour une religion nouvelle, le dogme a des liens étroits avec la morale. Comment fixer le point où il commence et celui où il s’arrête ? Le dogme lui-même sera donc aussi vérifié, discuté, contrôlé. Quel vaste champ ! Jusqu’où s’étendront les investigations du gouvernement ! quelle responsabilité pèsera sur lui ! à quelles attaques ne sera-t-il pas exposé ! Qui ne voit que ces questions ne sont pas de son ressort, qu’il n’a ni moyens d’information pour les étudier, ni conseil pour les discuter, ni autorité pour les résoudre, et que son incompétence est radicale ?

La conséquence du régime purement répressif est, nous en convenons, délaisser subsister le culte lui-même dans tout ce qui n’est pas contraire aux lois, et par suite de permettre que de nouveaux autels se dressent en face des anciens, que des sectes se forment, que des schismes éclatent ; mais ces églises, ces sectes, ces schismes ne sont-ils pas le fruit naturel et légitime de la liberté ? la liberté n’est-elle pas proclamée précisément pour que la carrière leur soit ouverte ? le bras séculier doit-il se lever pour les anéantir ? Quelle est donc la religion qui a besoin d’un tel appui, et qui, pour vaincre ses rivales, désespère de la persuasion et fait appel à la force ? Faux et imprudent calcul ! Les religions ont plus à craindre l’engourdissement qui suit d’ordinaire une possession paisible et incontestée que les témérités des novateurs. Interrogeons les pays où la liberté des cultes a jeté les plus profondes racines : le sentiment religieux y est plus ardent, plus général, plus constamment éveillé ; une incessante émulation y entretient la ferveur et le zèle[1]. On s’afflige de l’indifférence religieuse en France. À en croire

  1. « On a remarqué que, là où il existe diverses religions également autorisées, chacun dans son culte se tient davantage sur ses gardes et craint de faire des actions qui déshonoreraient son église et l’exposeraient aux censures et au mépris du public. On a remarqué de plus que ceux qui vivent dans des religions rivales ou tolérées sont ordinairement plus jaloux de se rendre utiles à leur patrie que ceux qui vivent dans le calme et les honneurs d’une religion dominante… Que l’on jette les yeux sur ce qui se passe dans un pays où il y a déjà une religion dominante et où il s’en établit une autre à côté : presque toujours l’établissement de cette religion nouvelle est le plus sur moyen de corriger les abus de l’ancienne. » (Portalis, discours sur l’organisation des cultes.)