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esclaves, devenus trop nombreux pour la quantité de terre cultivable, beaucoup d’habitans ont imaginé de s’en faire éleveurs et d’en faire le commerce avec les états du sud-ouest et du sud, dont les plantations de coton et de canne à sucre ont pris un développement énorme. La Virginie fait donc une grande exportation d’esclaves, et c’est ce qui explique comment la population noire, bien que dépassant quatre cent quarante-huit mille individus en 1840, ne s’est accrue néanmoins que de onze mille dans une période de dix ans. Le Maryland est à peu près dans la même position; aussi sa population noire est-elle restée stationnaire.

Ces résultats suffiraient à prouver que le système américain est non-seulement le plus humain, mais encore le seul profitable aux possesseurs d’esclaves. J’ai visité un assez bon nombre de plantations à la Louisiane, j’ai partagé la nourriture des noirs, j’ai assisté à leurs travaux, j’ai vu soigner leurs enfans, je suis entré dans leurs cases, j’ai été plusieurs fois aux ventes publiques qui se font à la Nouvelle-Orléans, j’ai enfin interrogé jusqu’à l’indiscrétion peut-être des propriétaires des divers états à esclaves, et j’ai cherché, par tous les moyens en mon pouvoir, à me former une opinion basée sur les faits. Je puis affirmer qu’il n’est pas possible de mieux traiter les noirs qu’on ne le fait aux États-Unis. Je suis très convaincu que la condition physique des esclaves de l’Union est infiniment meilleure que celle de la généralité des populations agricoles et ouvrières dans notre vieille Europe, et je pourrais citer à l’appui mille faits que j’ai vus moi-même, ou qui m’ont été rapportes par les personnes les plus dignes de foi. Il y a sur une des habitations de la paroisse Saint-Jacques, où j’ai passé quelques jours, dix, peut-être quinze nègres qui ont depuis long-temps amassé une somme suffisante pour se racheter; ils se gardent bien de le faire, et, quand on en parle à l’un d’eux, il répond : « Je suis bien traité et pas trop surchargé de travail ; si je suis malade, on me soigne: si ma femme est grosse, on l’accouche et on élève mon enfant; quand je deviendrai vieux, je n’aurai plus qu’à me reposer, et vous voulez que je quitte tout cela pour un avenir incertain! » J’ai vu aussi une dame, au moment de partir pour la France avec ses enfans, emmener avec elle la négresse esclave qui servait de bonne à ces derniers. Arrivée à New-York, la négresse est prise d’un tel désir de retourner à la Nouvelle-Orléans, que sa maîtresse compatissante se croit obligée de la renvoyer. L’esclave retourne prendre sa chaîne et ne donne pas un regret, pas une pensée peut-être à la liberté qui lui était acquise, si elle mettait le pied sur le sol de la France, sans même qu’elle eût à en témoigner sa reconnaissance à personne. — Le docteur M... avait emmené trois de ses noirs domestiques à New-York. L’un d’eux, très bon cocher, fut circonvenu par les anti-slavistes et quitta son maître qui refusa de le faire réclamer, comme la loi du pays lui en donnait le droit, disant avec raison que, puisque son esclave n’avait pu être retenu par les bons traitemens, il ne le serait pas par la justice, et que d’ailleurs il désirait n’être servi que par affection. Au bout de quelque temps, le noir demanda à rentrer chez le docteur M..., qui ne voulut pas y consentir. Le maître se laissa fléchir enfin par de nouvelles instances, mais il condamna le fugitif à cinq ans... de liberté! A l’expiration des cinq années, l’esclave rentra repentant chez son maître, et depuis lors il n’a donné lieu à aucune plainte.