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décentralisation dont beaucoup d’esprits sont restés séduits, à la liberté administrative, aux idées d’élection elles-mêmes. On allait au scrutin dans toutes ces élections locales, il y a dix ans ; on n’y va pas aujourd’hui que le droit est plus étendu. Voilà le résultat ! Voilà pourquoi les tribuns savent bien ce qu’ils font lorsqu’ils demandent le gouvernement direct du peuple : ils demandent leur propre gouvernement fondé sur l’impuissance et la lassitude du peuple.

À vrai dire, le danger du suffrage universel, ce n’est pas quand il est ignorant, comme disent les démocrates, c’est-à-dire quand il est lui-même, quand il s’inspire des instincts, des intérêts des populations, et qu’il ne se guide que d’après ce besoin immense de paix publique inné dans les masses vivant de leur travail et de leur peine ; le danger du suffrage universel, c’est quand il est éclairé, comme l’entendent encore les démocrates, c’est-à-dire quand il n’est plus lui-même, quand il a été artificiellement échauffé par le club et la presse, et qu’à la place de chaque penchant ou de chaque besoin populaire on a mis une passion, une envie, une haine, une irritation, une colère. Ce n’est plus alors le suffrage universel, c’est le déchaînement universel. Nous comprenons que le gouvernement n’ait point le goût de ce genre de lumière et d’éducation. Aussi vient-il de prendre des mesures contre le colportage. Nous désirons à coup sûr la liberté des industries ; mais il en est qui touchent de trop près, si l’on nous passe le terme, à l’hygiène morale du peuple, pour n’être point l’objet d’une active et sévère surveillance. On sait combien d’almanachs démagogiques, de. Publications obscènes, d’histoires frauduleuses ont été semés dans les campagnes durant ces dernières années. Le mal était si réel et si profond, que, dès 1849, on songeait à le combattre par une loi. La circulaire récente du ministre de la police générale soumet le colportage à des conditions nouvelles. Une des ruses de cette singulière industrie, à ce qu’il parait, c’est d’intercaler les publications qu’elle veut répandre dans des livres d’un titre complètement inoffensif. Ce qu’il y a de plus curieux, c’est que ce genre de propagande, s’exerce à l’égard des fonctionnaires eux-mêmes. Chaque livre doit être aujourd’hui revêtu d’une estampille par les préfets des départemens. Les maires n’ont qu’à constater la présence et l’identité de ce timbre dont ils ont un double. Que la circulaire du ministre de la police ait surtout un but politique, qu’elle tende à empêcher l’introduction et la circulation d’écrits hostiles venus du dehors, cela se peut : le gouvernement déjoue l’opposition là où il la trouve, et il n’y a rien en cela qui puisse surprendre beaucoup ; mais en même temps il servirait certainement un grand intérêt social, si la mesure qu’il vient de prendre réussissait à garantir les populations des campagnes de cette contagion de livres honteux qui vont troubler et souiller leur ame. Rien ne serait plus utile que cette œuvre de préservation morale, et, s’il reste beaucoup à faire sous d’autres rapports pour l’éducation populaire, ce serait déjà du moins un progrès signalé d’empêcher la propagande corruptrice du mal. Il faut se souvenir toujours néanmoins que le meilleur moyen pour combattre cette propagande, c’est de lui opposer un enseignement sain, religieux, bien dirigé et facilement accessible.

Ce n’est point, au surplus, seulement au point de vue des classes populaires que ces questions d’éducation s’élèvent naturellement. Comme il arrive