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parmi les monumens de l’art antique. Il y a dans la division des masses musculaires une grandeur, une simplicité qui rappellent les meilleurs temps de la statuaire. Il est évident que Puget, en modelant le torse de son Milon, ne se contentait pas de copier le modèle, et s’imposait le devoir de l’agrandir en l’interprétant ; et ce devoir, il l’a fidèlement accompli. Liberté, hardiesse dans l’interprétation du modèle, tels sont, en effet, les mérites qu’il importe de signaler dans le torse du Milon. Il n’y a pas un morceau qui soit la reproduction littérale de la nature. Tout relève de la pensée aussi bien que du regard. Puget ne s’en est pas tenu au témoignage de ses yeux ; il a compris en même temps qu’il voyait. Ses yeux apercevaient la forme du modèle vivant, son intelligence animait le marbre, comme le feu dérobé à Jupiter avait animé l’argile.

Est-ce à dire que le Milon soit à l’abri de tout reproche ? Cette œuvre si savante et si vraie ne laisse-t-elle rien à souhaiter ? Y a-t-il dans ce groupe si émouvant autant de goût que d’énergie ? Je ne le pense pas, et je crois que ma franchise n’étonnera, ne scandalisera personne parmi ceux qui admirent sincèrement Puget et n’obéissent pas à un mot d’ordre en le proclamant grand et habile. Tous ceux qui savent la raison de leur admiration comprennent très bien que Puget n’a presque jamais tenu compte de l’harmonie linéaire, et le Milon est une des preuves les plus éclatantes que je puisse fournir à l’appui de mon affirmation. Je rends pleine justice aux qualités éminentes qui recommandent cet ouvrage ; mais je reconnais, avec tous les hommes de bonne foi, que les lignes pourraient être plus heureusement choisies. Et qu’on ne se méprenne pas sur le sens de ma pensée : si je blâme les lignes du Milon, ce n’est pas en prenant le groupe de Laocoon comme un type sacré dont les statuaires ne doivent jamais s’écarter. Le groupe trouve dans les thermes de Titus et placé aujourd’hui dans le musée du Vatican n’est probablement qu’une réplique : l’original n’est pas venu jusqu’à nous. Il y a lieu de penser d’ailleurs que l’original n’appartenait pas aux plus beaux temps de la sculpture : il n’est permis qu’à l’ignorance de mettre le Laocoon sur la même ligne que le Thésée. Il y a dans cette composition si vantée, qui a suggéré aux rhéteurs tant de périodes sonores, quelque chose de théâtral qui n’a rien à démêler avec le vrai style de la statuaire. C’est au nom d’une théorie moins étroite que je blâme les lignes du Milon. Je ne parle pas de la draperie que rien ne motive et qui ressemble à un chiffon oublié sur une haie : je parle du corps même de l’athlète, qui ne présente qu’un seul côté satisfaisant. Du moment, en effet, qu’on n’a plus à sa droite la silhouette de Milon, les lignes s’appauvrissent, et le sujet ne s’explique pas aussi clairement. Or une des conditions les plus