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gravier, et ses eaux immaculées vont traînant maintes souillures. Avec cette idée si simple, M. de Redwitz compose une sorte de légende comme les aimait Clément de Brentano, un de ces contes où la nature vit, où les choses ont une ame et conversent avec nous. Lui-même, il est fidèle aux préceptes qu’il donne ; ses Poésies contiennent d’agréables chansons d’amour, des ballades pleines d’originalité, des tableaux de genre que relève toujours une pensée pieuse. Madame Agnès est un petit drame bien conduit, où la supériorité de la femme chrétienne sur la femme musulmane est indiquée avec beaucoup d’intérêt et de grâce ; mais ce qui distingue surtout ce volume, c’est une aspiration fervente à la simplicité. Le poète va demander conseil aux maîtres les plus modestes ; dans le concert de la création, la plus humble mélodie l’enchante, et il voudrait en surprendre le secret. Il interroge le brin d’herbe qui tremble, le filet d’eau qui filtre sous le sable, le buisson caché où chante l’oiseau matinal. « D’où vient que la voix est si pure, ô chantre ailé des matinées printanières ? — C’est que je suis petit, répond l’oiseau ; sois petit comme moi, et tu chanteras de même. » cette idée revient sans cesse et sous maintes formes. Lorsque l’auteur de l’Imitation s’écriait : « A quoi servent ces disputes subtiles sur les choses cachées et obscures ? que nous importe tout ce qu’on dit sur les genres et les espèces ? » et ailleurs : « J’éprouve un grand ennui à force de lire et d’entendre ; que tous les docteurs se taisent ! ô mon Dieu, parlez-moi vous seul ! » il exprimait admirablement la fatigue et le dégoût des cœurs après les interminables discussions de la scolastique ; c’était l’ame chrétienne, altérée par la science aride du moyen-âge, qui prenait en horreur les problèmes abstrus, les syllogismes à outrance, et qui ne demandait plus que deux choses, le silence et Dieu ! Il y a quelque chose de cela dans les vers de M. Oscar de Redwitz, et c’est ainsi qu’il est devenu, sans le chercher, le représentant d’une situation générale. L’Allemagne était comme ahurie par les clameurs des sophistes ; quel bonheur de se rafraîchir à cette poésie calme dont l’inspiration constante rappelle si bien ce cri du pieux solitaire : « Que tous les docteurs se taisent ! »

Le succès de M. de Redwitz a été si complet, qu’une sorte d’école s’est formée autour de lui. De même que MM. Herweghet Freiligrath, il y a quelques années, attiraient à eux tous les jeunes poètes, l’auteur d’Amaranthe est salué aujourd’hui comme un maître. M. de Redwitz, dans la préface d’Amaranthe, invitait tous les chanteurs, comme de mystiques architectes, à la construction de la cathédrale invisible où l’humanité malade doit retrouver le repos qu’elle a perdu. Les écrivains de la génération qui entre sur la scène n’ont pas manqué à l’appel. Le réveil des sentimens religieux aura ses interprètes de tout genre, comme l’humanisme a eu les siens avant 1848. Jusqu’à présent, ils sont plus nombreux