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Bernard. Laisse là le christianisme, dit Ghismonda à Walther ; sors libre et triomphant de la ténébreuse vallée du mythe, et monte avec moi sur la montagne de la vérité, au sein de la lumière sans voile ; c’est là que j’ai bâti le palais de mon esprit ! Et elle fait la description de ce palais, qui ressemble fort à une abbaye de Thélème. Rabelais inscrivait sur le seuil de son édifice ce précepte rigoureux : « Fais ce que tu voudras. » Sois mon hôte, s’écrie la jeune comtesse de Côme, entre dans le palais de ma pensée ; le drapeau de la joie y flotte sur les tours, et les proverbes dorés qui conseillent la jouissance t’y salueront au seuil. Sous le voile de Ghismonda, il est trop évident que l’auteur fait parler ici les Feuerbach et les Bruno Bauer de son temps, et c’est lui qui va leur répondre par la bouche de Walther. L’intention a beau être excellente, le poète se montre bien maladroit. Non-seulement le cadre est faux, mais la discussion est ridiculement faible. C’est en face, et non par des allusions détournées, qu’il faut attaquer l’athéisme de nos jours. Si déplaisante qu’elle soit avec son grotesque pathos, Ghismonda est trop belle, trop brillante, trop Italienne, pour représenter la laideur du matérialisme allemand. Quant à la réponse de Walther, ce n’est qu’un sermon banal ; lorsqu’il revendique la dignité de la personne humaine et venge la majesté de Dieu, le poète ne trouve pas les accens sublimes qui étaient nécessaires en un pareil sujet. Ces accens, il les eût rencontrés peut-être, si la scène eût été mieux conçue ; mais tout le gênait, le cadre et les acteurs. Walther et Ghismonda, devenus subitement de symboliques figures, perdent tout le charme de la réalité sans atteindre aux proportions de la haute poésie. Cette scène, qui devait contenir le sens du poème entier et pour laquelle l’auteur semble avoir réservé ses meilleures forces, est la plus mauvaise partie de son œuvre.

Comment se terminera ce troisième chant ? Quels seront les rapports de Ghismonda et de Walther ? Il n’est pas besoin d’une grande sagacité pour deviner la rupture qui se prépare. On se rappelle les pieuses chansons composées par Walther dans ses vallées natales. « Je ne veux pas de sermons qui te lient à moi, je ne veux pas de regards qui me sourient amoureusement ; mais je demanderai à ton ame de quelle manière elle est attachée à Dieu ; cela seul me dira tout. » Après son bizarre entretien avec Walther, Ghismonda hésite un instant entre la foi de son fiancé et l’orgueil de son propre système ; l’orgueil l’emporte ; par la puissance de son esprit et les séductions de sa beauté, il faut qu’elle triomphe de Walther. Cependant le jour fixé pour la cérémonie nuptiale s’est levé ; les cloches sonnent, les chants retentissent, une foule brillante emplit la vaste nef de l’église ; le fiancé et la fiancée sont devant l’autel, et l’évêque va les unir. « Avant que je m’engage à toi pour la vie, ô Ghismonda ! s’écrie Walther, dis-moi si tu