Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 15.djvu/775

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

se l’avouer à lui-même, corrige ses rigueurs factices par les franches et légitimes émotions de l’adolescence. Tel qu’il est, avec cette alliance de sentimens opposés, Walther est une figure aimable ; la vérité objective qui lui manque est bien rachetée par les clartés qu’il répand sur le caractère même du poète ; il est joyeux et grave, il est fougueux et timide, il est à la fois plein de soumission et de hardiesse : personnage naïvement dessiné qui remplit de ses émotions contraires toute la première partie de ce joli poème.

Le second chant, à côté de ce portrait fier et candide, nous montrera la douce figure de l’héroïne. C’est la nuit, l’éclair brille, la pluie tombe à torrens ; quel est ce cavalier, enveloppé dans son manteau, qui frappe à cette tour isolée ? C’est Walther. Une jeune fille vient lui ouvrir et le conduit dans la pauvre et hospitalière demeure. Elle allume le feu, elle fait sécher les vêtemens du voyageur et va prévenir son père : « Mon père, Dieu nous envoie un hôte. » Le père et l’hôte sont attablés ensemble ; la jeune fille est remontée discrètement dans sa chambre. Cette jeune fille, ce sera celle que Walther demandait à Dieu dans ses rêves d’adolescent. Amaranthe est son nom. Son père était un de ces Minnesinger qui chantaient à la cour des ducs et qui portèrent si haut, dès le XIIe siècle, cette sorte de chevalerie littéraire. Frappé d’un malheur qui a empoisonné sa vie, marié à une femme indigne de lui, qu’un hôte perfide lui a enlevée, le père d’Amaranthe s’est retiré dans un vieux Burg à demi ruiné. Il est pauvre et défiant ; ce n’est pas seulement son amour trompé qui lui remplit le cœur d’amertume ; il songe à la fidélité domestique, il songe à la chasteté allemande qu’il a tant de fois célébrée dans ses vers et dont il se croyait un des pontifes. Sa fille Amaranthe est la seule consolation qui lui reste ; par elle seule, il tient encore à la vie et conserve la foi. Quelle pure image en effet ! Nulle créature n’était plus digne d’être la fille d’un chantre d’amour. L’impression qu’elle va produire sur Walther, le lecteur la devine sans peine. Walther a reconnu dans Amaranthe celle à qui il adressait tant de strophes passionnées. « Celle que je trouverais la plus douce, disait-il, je lui prendrais les mains pour les mettre sur mon cœur. » Il l’a trouvée, c’est la fille du Minnesinger. Amaranthe aussi aime le jeune étranger. En vain se lève-t-elle dès l’aube pour aller entendre la messe au monastère voisin, en vain prie-t-elle pour rendre le calme à son cœur : elle aime Walther et elle voudrait en vain dissimuler son trouble. M. de Redwitz nous donne ici toute une idylle charmante. Une des plus jolies scènes est celle où la jeune fille va dire au cheval du voyageur ce qu’elle n’ose dire au maître. Comme elle caresse sa crinière soyeuse ! Et, lorsqu’elle est surprise par Walther, quelle confusion ! quelle rougeur sur son visage ! Seulement, dès que le poète s’est laissé entraîner sans scrupule à des tableaux de ce genre,