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allemand ; il y a dans ses tableaux toute la candeur, et il faut ajouter, pour être complet, toute la témérité des vieux maîtres.

Au milieu de cette nature sereine, dans ces vallées du Neckar où refleurit si volontiers la grâce dés anciens jours, habite un jeune homme non moins ému que M. de Redwitz par toutes les séductions de cette contrée. Nous sommes au moyen-âge. C’est le temps où les chefs des Minnesinger vont s’abandonner à leur enthousiasme dans les luttes du château de la Wartbourg, c’est le temps où Henri Frauenlob va célébrer si noblement les femmes allemandes, où Gottfried de Strasbourg sera l’interprète des tendres rêveries, et Wolfram d’Eschembach le chantre des sublimes pensées. La poésie est partout. Ici elle règne chez les ducs et les landgraves, là elle s’épanouit dans le creux du sillon ; elle embaume les retraites studieuses et les monastères des femmes, ou bien elle accompagne les Hohenstaufen dans leurs expéditions aventureuses. Le héros de M. de Redwitz a subi ces douces influences. Walther est son nom. Privé d’un père qu’il n’a pas connu, élevé par sa mère dans le château délabré de ses aïeux, le jeune chevalier vient d’atteindre l’âge où toutes les puissances intérieures s’éveillent impétueusement et veulent se donner carrière. À cheval, son faucon au poing, courant par vaux et par montagnes, Walther appelle avec impatience les occasions glorieuses où il pourra relever l’honneur de sa maison. Chose singulière pourtant, au milieu de ces ardeurs, il y a place dans son ame pour les sentimens les plus suaves et la plus touchante humilité : le fils des burgraves est aussi le disciple des chantres d’amour. Il chante sans cesse, il chante la joie des combats et le mépris du danger, il chante le bonheur de se sentir emporté à travers les monts et les plaines sur un coursier rapide ; mais tout à coup, s’il pense à l’amour de sa mère, sa voix s’attendrit, il oublie les guerres enivrantes et ne songe plus qu’à la félicité du foyer domestique. Comme il devient humble ! comme l’impétuosité fait place à la soumission la plus douce ! comme il voit succéder aux images de batailles l’image rêvée de la petite chambre où demeurerait, solitaire et pieuse, la jeune fille qu’il prie Dieu de lui envoyer ! Il s’écriait tout à l’heure : « Je suis comme le torrent ; qui pourrait m’arrêter ? Vains efforts ! celui qui oserait l’essayer, je l’emporterais avec moi dans ma course et le traînerais sur le dos ! » Écoutez-le maintenant ; il est en extase devant son idéal, et il dit, les mains jointes :


I

« Je voudrais me glisser à toutes les fenêtres aussi délicatement qu’un rayon » de la lune ; je voudrais, invisible, aller offrir mon anneau à toutes les petites chambres solitaires.

« Et la femme que je verrais la plus calme, la plus silencieuse, pieusement