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200 millions. Ainsi, à la fin de 1852, la production de cette période quinquennale aura atteint un chiffre qui approchera de 2 milliards, résultat jusque-là sans exemple dans l’histoire, car jamais l’or n’avait coulé d’une source aussi abondante ni par tant de fleuves à la fois.


V

Quels seront les effets probables de cette expansion de l’or sur les contrées où les gisemens s’exploitent et sur les grands centres de richesse ainsi que d’industrie où la concurrence détermine et où vient se monnayer en quelque sorte la valeur des choses ? Parlons d’abord des colonies aurifères. Il est certain que l’attrait exclusif des lavages y retarde ou y fait rétrograder au début le travail vraiment productif, celui qui féconde les champs ; mais cette influence démoralisatrice n’aura pas une très longue durée. Les placers s’épuiseront. L’or d’alluvion, celui que les grandes pluies et les débordemens ont répandu presque à la surface du sol, alimente principalement la récolte. Les milliers de mineurs qui en suivent les veines, à force de tourner et de retourner la terre, l’auront bientôt dépouillée des moindres parcelles du métal. Restera l’or enfermé dans le quartz, qui n’est accessible qu’aux procédés scientifiques, et dont on n’abordera l’exploitation qu’en formant, à l’aide du capital aggloméré, comme pour l’extraction de l’argent, des compagnies puissantes. Alors les efforts individuels, exclus ou rebutés, se tourneront vers la culture du sol. De tous ces émigrans qui accourent en foule dans la Californie et dans l’Australie à la recherche de l’or, il en restera un assez grand nombre pour coloniser le pays. À côté des aventuriers qui s’expatrient pour courir après les chances et les émotions d’une fortune improvisée, la société moderne renferme une multitude de familles pauvres qui s’estimeront heureuses de trouver sous un climat lointain le travail rémunérateur ou la propriété avec une aisance modeste.

Les Espagnols avaient débuté, eux aussi, dans la conquête du Nouveau-Monde, par mettre les métaux précieux au pillage et par dédaigner tout ce qui n’était pas de l’or et de l’argent : ils ont fini par bâtir des villes, par construire des ports, par édifier des temples, par semer des céréales et par élever des troupeaux. Après les soldats sont venus les mineurs, et après les mineurs les colons ; la pique n’a fait que frayer la route à la charrue. Ce qui s’est passé au XVIIe siècle se reproduira certainement dans le cours du XIXe. L’Australie, la Californie et les régions hyperboréennes de l’Altaï se couvriront d’habitans. Il est permis de croire que la Providence, en accumulant des trésors comme un aimant dans les lianes de leurs montagnes et dans les profondeurs de