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de six, ont donné en masse leur démission et vont chercher de l’or au mont Alexandre. Un cri de désespoir et d’indignation s’est élevé dans la colonie. « L’imbécillité de notre gouvernement, dit l’Argus, nous réduit à nous faire justice nous-mêmes et à proclamer la loi de Lynch avec ses plus formidables terreurs. » « Il faut que le gouvernement agisse avec énergie et sans perdre de temps, dit le Morning Herald ; autrement nous présenterons bientôt le spectacle d’une seconde Californie, avec l’émeute et la loi de Lynch en permanence et avec le crime dans sa hideuse nudité. » Le gouverneur, sir G. Fitzroy, a répondu à cet appel en demandant des troupes à la mère-patrie et en recrutant sa police de quelques soldats en retraite. Suffira-t-il, pour préserver cette société à peine formée de la dissolution qui la menace, d’envoyer un vaisseau de guerre en station à Port-Jackson et un autre à Port-Philip, et de renforcer les garnisons de l’Australie, comme sir John Packington le propose, de quatre ou cinq cents soldats ?

Heureusement de tels désordres ne sauraient passer à l’état chronique. Quand l’autorité, qui devrait les réprimer, se déclare impuissante, la société, tremblant pour son existence, se soulève, et, au prix d’une commotion populaire, elle se débarrasse violemment des malfaiteurs. Ce qui est bien autrement à redouter, surtout dans une communauté de formation récente, c’est l’attraction que les fortunes faites aux placers exercent sur les esprits. Les hommes, fascinés par cet irrésistible aimant, abandonnent les travaux les plus productifs comme les occupations les plus nécessaires. Il n’y a plus de vocations ni de devoirs qui retiennent ; aucun salaire ne pouvant suivre la progression des chances qu’un mineur trouve au bout de sa pioche, le métier de chercheur d’or remplace bientôt tous les métiers. Un peuple entier, courbé vers la terre, s’absorbe dans ce travail qui l’abrutit, laissant aux autres le soin de semer et de produire.

Dès le commencement de novembre dernier, les villes de Melbourne et de Geelong étaient abandonnées ; de cette nombreuse population, il ne restait plus que les femmes. La proximité des placers, situés à deux ou trois journées de marche, rendait le voyage comparativement facile. Il ne fallait pas, comme à Sydney, s’équiper pour un long voyage, ni faire provision de vivres et d’argent. Les hommes désertaient en foule les troupeaux, les champs, les navires, les ateliers, les comptoirs et les boutiques ; on ne pouvait les retenir à aucun prix. Il en venait de Sydney, de la terre de Van-Diemen, de l’Australie du sud et jusque de la Californie elle-même. Les navires dans la baie ne débarquaient pas leurs cargaisons faute de bras ; les marchandises pourrissaient sur les quais, où on les avait entassées. Dans plusieurs districts de la colonie, les affaires et la culture étaient suspendues ; on manquait de bras partout. Quand on trouvait des ouvriers pour la tonte des laines,