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les frondeurs, caressant habilement son amour-propre, le traitaient en souverain. D’un coup d’œil, Condé reconnut la situation et son devoir, et, sans biaiser, il offrit son épée à la reine.

Il eut avec sa sœur une explication orageuse.

On prétend que depuis quelque temps leur tendresse réciproque avait souffert plus d’un échec, qu’en 1643 Mme de Longueville avait traversé les amours de son frère et de Mlle du Vigean, qu’en 1646 Condé lui avait rendu la pareille, et que, la voyant s’engager un peu trop avec La Rochefoucauld, il l’avait fait appeler à Munster par son mari ; mais il n’y a que la duchesse de Nemours[1] qui dise cela, et rien n’est moins vraisemblable. La passion de Condé pour Mlle du Vigean s’éteignit d’elle-même, comme nous l’avons vu, et comme l’affirment tous les contemporains. Les empressemens de La Rochefoucauld pour Mme de Longueville peuvent avoir précédé l’ambassade de Munster, mais ils n’ont bien paru qu’en 1647, et c’est au milieu de cette année que les place Mme de Motteville, en les rapportant surtout au désir de partager le crédit de la sœur auprès du frère. Mais il est bien certain qu’aussitôt que celui-ci entrevit cette liaison, il la désapprouva entièrement, et que, ne parvenant pas à arracher sa sœur à l’enivrement d’un premier amour, il passa de la plus vive affection à un mécontentement très aigre. Dans l’automne de 1648, à son retour de Lens, la liaison intime était dans toute sa force et devenue à peu près publique. Mme de Longueville, dirigée par La Rochefoucauld, fit alors tout au monde pour gagner son frère ; elle l’entoura de séductions et de caresses ; elle fit jouer tous les ressorts qu’elle savait les plus puissans sur ce cœur passionné et mobile : elle échoua. Il ne réussit pas davantage à reprendre sur elle son ascendant accoutumé. Ils se brouillèrent donc et se séparèrent avec éclat. Mme de Longueville se jeta au plus épais de la Fronde, et Condé s’apprêta à donner aux nouveaux importans une rude leçon.

Il n’est pas de mon sujet d’entrer dans aucun détail. Tout ce que je veux montrer, c’est que le frère et la sœur, en face l’un de l’autre, firent paraître, dans des conduites opposées, le même sang et la même audace.

La reine s’était retirée à Saint-Germain avec le jeune roi et tout le gouvernement. La Fronde était donc maîtresse absolue de Paris. En dépit du premier président Molé, le L’Hôpital du XVIIe siècle, elle faisait mouvoir le parlement, à l’aide de quelques conseillers ambitieux, et des enquêtes emportées et brouillonnes. Elle disposait d’une grande partie du clergé parisien par le coadjuteur de l’archevêque, Retz, qui

  1. Mémoires, p. 19, etc. Villefore a suivi Mme de Nemours.