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à un rang bien autrement haut que l’usurpation même de la royauté. Ne craignons pas de le répéter, pour mieux faire sentir la profondeur de sa chute : à ses cinq années de victoires éclatantes en Flandre et sur le Rhin, de 1643 à 1648, il eût sans aucun doute ajouté, dans le duel qui demeurait entre la France et l’Espagne après le traité de Westphalie, des victoires nouvelles qui, en deux campagnes tout au plus, vers 1650, eussent à jamais conquis la Belgique, comme les précédentes avaient conquis l’Alsace. Il se serait donc trouvé à trente ans ayant gagné autant de batailles qu’Alexandre, Annibal et César, et il avait encore devant lui vingt années de force, vingt autres victoires, comme celle de Senef, par exemple[1], qu’il remporta sur le seuil de la vieillesse, avant de déposer l’épée, comme un monument de ce qu’il eût pu faire de 1648 jusqu’en 1675. Incomparable destinée, qui était infaillible, s’il eût su rester dans son rôle de premier prince du sang, défenseur inébranlable de la couronne, ce qui ne l’eût pas empêché d’être en même temps l’interprète loyal de la nation, de porter auprès de la reine sans l’effrayer et auprès de Mazarin en le maintenant les griefs légitimes de la noblesse, du parlement et du peuple.

La Fronde, en effet, avait sa raison d’être, et Mazarin, presque égal à Richelieu comme diplomate, n’avait pas le moins du monde le génie de son maître pour l’administration intérieure de l’état. Incessamment occupé de l’agrandissement du territoire et de celui de l’autorité royale, il ne faisait guère attention à tout le reste, et laissait s’introduire partout les abus et les désordres. Les grandes guerres qu’il soutenait, les quatre ou cinq années qu’il était forcé d’entretenir, avaient épuisé la France, que la gloire ne consolait pas toujours de la misère. Il avait fallu augmenter les impôts, vendre même les emplois publics, pour avoir de quoi payer les troupes. On avait souvent éludé ou désarmé l’autorité des parlemens. Le sang de la noblesse avait coulé par torrens. Le peuple gémissait sous des charges de plus en plus lourdes, et, pour peu que le sentiment de la grandeur nationale l’abandonnât un seul moment, l’excès du mal lui arrachait des plaintes et le poussait à la révolte. Je n’accuse pas le peuple : il n’a presque jamais tort ; il ne remue que quand il souffre, il ne s’agite que pour être mieux ou pour être moins mal. Ce sont les partis qui sont coupables lorsque, au lieu de s’efforcer d’obtenir quelque soulagement aux maux du peuple, ils s’appliquent à les lui rendre plus poignans et plus amers par des déclamations enflammées et le précipitent au-delà de toutes les bornes. En 1648, je plains le peuple, naturellement irrité de l’accroissement des impôts et des désordres de l’administration ; je condamne la Fronde, qui,

  1. Condé gagna la bataille de Senef avec 45,000 hommes contre 65,000 commandés par le plus grand général de l’Europe, le fameux prince d’Orange. Sans la lâcheté de l’infanterie suisse, qui refusa de se battre, Condé détruisait toute l’armée ennemie.