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naturelle en ambition politique, ou plutôt il lui inspira si propre ambition.

Mme de Longueville, touchée de la passion que lui montrait La Rochefoucauld, une fois qu’elle eut pris le parti d’y répondre, en se donnant se donna tout entière ; elle se dévoua à celui qu’elle osait aimer ; elle se fit un point d’honneur, comme sans doute un bonheur secret, de partager sa destinée et de le suivre sans regarder derrière elle, lui sacrifiant tous ses intérêts particuliers, l’intérêt évident de sa famille, et le plus grand sentiment de sa vie, sa tendresse pour son frère Condé.

Chose admirable ! ce dévouement qui lui peut servir d’excuse, savez-vous qui lui en fait un crime ? Celui-là même qui en profita. La Rochefoucauld s’exprime ainsi sur Mme de Lougueville[1] : « Cette princesse avoit tous les avantages de l’esprit et de la beauté en si haut point et avec tant d’agrément qu’il sembloit que la nature avoit pris plaisir de former un ouvrage parfait et achevé… Mais ses belles qualités étoient moins brillantes à cause d’une tache qui ne s’est jamais vue en une princesse de ce mérite, qui est que, bien loin de donner la loi à ceux qui avoient une particulière adoration pour elle, elle se transformait si fort dans leurs sentimens qu’elle ne reconnoissoit point les siens propres. En ce temps-là, le prince de Marcillac avoit part dans son esprit, et comme il joignoit son ambition à son amour, il lui inspira le désir des affaires, encore qu’elle y eût une aversion naturelle. »

Écoutons l’ennemie déclarée de Mme de Longueville, sa belle-fille, la duchesse de Nemours : « L’on[2] s’étonnera sans doute que Mme de Longueville ait été une des premières (à se jeter dans le parti des mécontens), elle qui n’avoit rien à espérer de ce côté-là et qui n’avoit aucun sujet de se plaindre de la cour… M. le prince avait pour sa sœur une extrême tendresse. Elle, de son côté, le ménageoit, moins par intérêt que pour l’estime particulière et la tendre amitié qu’elle avoit pour lui. En ce temps-là, ni son esprit ni celui de toute la cabale n’etoit point d’avoir des desseins ni de l’habileté, et, quoiqu’ils eussent pourtant tous beaucoup d’esprit, ils ne l’employoient que dans les conversations galantes et enjouées, qu’à commenter et à raffiner sur la délicatesse du cœur et des sentimens. Ils faisoient consister tout l’esprit et tout le mérite d’une personne à faire des distinctions subtiles et des représentations quelquefois peu naturelles là-dessus. Ceux qui y brilloient le plus étoient les plus honnêtes gens, selon eux, et les plus habiles, et ils traitaient au contraire de ridicule et de grossier tout ce qui avoit le moindre air de conversation solide… Ce fut La Rochefoucauld qui insinua

  1. Mémoires, ibid.
  2. Mémoires, p. 18, etc.