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brouiller avec le chancelier Séguier pour avoir favorisé le mariage de sa fille, la marquise de Coislin, avec le fils de Mme de Sablé, le beau et brave marquis de Laval, tué quelque temps après, à côté de Condé, au siège de Dunkerque. Un peu avant son départ pour Munster, au printemps de 1646, Esprit avait présenté à Mme de Longueville un des anciens poètes favoris de Richelieu, Bois-Robert, qui était resté ébloui du nouvel éclat de celle qu’il avait vue autrefois et admirée toute jeune dans les fêtes de Ruel. Voici dans quels termes Bois-Robert raconte à Esprit sa visite et lui peint Mme de Longueville. Les vers sont médiocres, mais il faut nous les passer, car ils tiennent la place d’une infinité d’autres vers, qu’à la rigueur nous pourrions citer, sur la même personne et de cette même époque, et qui sont plus mauvais encore[1] :

« Elle avoit pris le bain tout freschement,
Ses bras du lict sortaient négligemment,
Et jettant l’œil sur ce vivant albastre
Je t’advouray que j’en fus idolâtre.
Là, les zéphirs enjouez volettoient
Sur ses cheveux, qui par ondes flottoient,
Et sur sa gorge, et sur son teint de roses
De qui l’éclat surpassoit toutes choses,
Et faisoit honte aux plus vives couleurs
Qui brilloient lors sur les nouvelles fleurs.
De ses beaux doigts, tels que ceux de l’Aurore,
Frottant ses yeux qui s’éveilloient encore,
Elle laissoit tout à coup éclairer
Ces deux soleils qu’il fallut adorer
Les yeux baissez, car ma foible paupière
N’en put jamais soutenir la lumière.
Là s’assembloit, comme en un vif tableau,
Ce que le monde eut jamais de plus beau ;
Mais le corail de sa bouche vermeille
Remplit surtout mon ame de merveille,
Lorsqu’aux appas muets que j’admirois,
Elle ajousta le charme de sa voix, etc. »

Le voyage de Mme de Longueville à Munster fut une fête et une ovation continuelle. Belges, Hollandais, Espagnols, impériaux, tout le monde se piqua de galanterie envers la belle ambassadrice. Les gouverneurs de place sortaient pour la recevoir à la tête de leurs garnisons. On venait lui offrir les clés des villes. Elle avait des escortes de cavalerie. Le duc de Longueville alla jusqu’à Wesel à sa rencontre.

  1. Les épistres en vers et autres œuvres poétiques de M. de Bois-Robert Metel, conseiller d’estat ordinaire, abbé de Châtillon-sur-Seine, Paris, 1659, in-8o, p. 11 : A monsieur Esprit : il l’entretient des beautés de Mme la duchesse de Longueville et de l’accueil favorable qu’il avait reçu d’elle à son départ.