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puis sa famille tout entière, et la précipita ainsi de ce faîte d’honneur et de gloire où tant de services l’avaient élevée.

Racontons le plus rapidement qu’il nous sera possible ce que nous savons de Mme de Longueville depuis le moment où nous l’avons quittée jusqu’au commencement de l’année 1648.

Nuls documens authentiques, imprimés ou manuscrits, ne nous autorisent à supposer qu’avant la fin de l’année 1647, Mme de Longueville ait jamais franchi les bornes de la galanterie à la mode. Elle était grosse en 1643, pendant l’aventure des lettres et la tragique querelle qui en fut la suite, et elle accoucha, le 4 février 1644, d’une fille qui reçut le nom de sa mère et de son frère, Charlotte-Louise, Mlle de Dunois, morte le 31 avril 1645. Un an après, le 12 janvier 1646, elle eut un fils, Charles d’Orléans, comte de Dunois, destiné à succéder aux titres de son père, mais qui, disgracié de la nature, tenta diverses carrières sans être capable d’aucune, et s’éteignit dans l’église, à la fin du siècle, sous le nom d’abbé d’Orléans. En 1647, elle mit au monde une seconde fille, Marie-Gabrielle, enlevée en 1650. Plus tard, nous dirons un mot du dernier fils qui lui naquit au milieu de la Fronde.

Mme de Longueville avait vingt-cinq ans en 1644, après le duel de Coligny et de Guise. Chaque année ne faisait qu’ajouter à ses charmes. La gloire de son frère rejaillissait sur elle, et elle y répondait en quelque sorte par ses propres succès à la cour et dans les salons. Elle s’éloignait de plus en plus des carmélites et prenait les mœurs du jour. La coquetterie et le bel esprit étaient toute son occupation. En allant se mettre à la tête de l’ambassade de Munster, en juin 1645, M. de Longueville l’avait laissée à Paris ; elle s’y plaisait fort, et, soit que son cœur eût déjà reçu quelque légère atteinte, soit qu’il fût encore entièrement libre, on comprend qu’elle ne fût pas très charmée d’aller rejoindre, sous le ciel de la Westphalie, son mari, qui n’était pas, comme dit Mme de Motteville, l’homme du monde qu’elle aimait le plus. Imaginez-vous en effet cet enfant gâté de l’hôtel de Rambouillet quittant Corneille et Voiture, toutes les élégances et les raffinemens de la vie, pour s’en aller à Munster, parmi des diplomates étrangers parlant allemand ou latin. C’était pour elle un double exil, car sa patrie n’était pas seulement la France, c’était Paris, c’était la cour, c’était l’hôtel de Condé, Chantilly, la Place-Royale, la rue Saint-Thomas du Louvre. Cependant il fallut obéir et se mettre en route avec sa belle-fille, Mlle de Longueville, qui avait déjà un peu plus de vingt ans. Pour garder quelque chose de Paris, elle emmena avec elle Esprit[1], l’académicien et l’oratorien, un des habitués de l’hôtel de Rambouillet, qui venait de se

  1. Revue des Deux Mondes, livraison du 15 juin dernier, p. 1035.