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étant victorieuse et menaçant de tout écraser, il fallait à tout prix l’arrêter et la détruire. Pour arriver sur elle le plus tôt possible, à la hauteur du champ de bataille où se trouvait Condé, le chemin le plus court était de se frayer un passage à travers l’armée espagnole, en enfonçant sa dernière ligne, composée d’infanterie, et de tomber après comme la foudre sur les derrières de l’aile triomphante. Si l’infanterie qu’il s’agissait de culbuter eût été celle du comte de Fontaine, elle eût tenu ferme, barré le chemin à Condé, et il était perdu ; mais il savait que cette infanterie était un mélange de troupes italiennes, vallonnés et allemandes : il espéra donc en venir à bout à force d’énergie. Voilà pourquoi il chargea lui-même et fit des prodiges de valeur commandés par le calcul le plus sévère. Plus tard, lorsqu’on lui faisait des complimens sur son courage, il disait avec esprit et profondeur qu’il n’en avait jamais montré que lorsqu’il l’avait fallu. Il est vrai que les héros seuls ont de l’audace à volonté. Il se conduisit à peu près de même l’année suivante, en 1644, dans les combats de géans qu’il livra à Mercy autour de Fribourg. Impossible de séparer aucune des divisions de l’armée impériale, adhérentes entre elles et formant une masse à la fois mobile et serrée derrière des retranchemens formidables. Il les attaqua lui-même avec cette furie française à qui tout cède[1] ; en même temps, il envoya Turenne, la nuit, à une très grande distance, à travers des gorges effroyables, comme Bonaparte dans les marais d’Arcole[2], pour prendre en flanc et sur ses derrières l’armée ennemie, qui était perdue, si Mercy, averti à temps et confondu d’une telle manœuvre, ne se fût bien vite échappé. Au second combat de Fribourg, Condé renouvela cette même manœuvre en envoyant Turenne à une distance bien plus grande encore que la première fois, afin de fermer toute issue à Mercy pendant qu’il l’attaquait de front, et de l’écraser dans son camp ou de le forcer à capituler. Le vigilant Mercy échappa une seconde fois ; mais sa retraite, tout admirable qu’elle est, n’en ressemble pas moins à une déroute, car il perdit non-seulement l’honneur des armes et le champ de bataille, mais toute son artillerie et une partie de ses troupes.

En 1645, Mercy et Condé se retrouvèrent en présence. Mercy venait

  1. C’est à l’attaque des lignes de Fribourg qu’il jeta dans les retranchemens ennemis son bâton de commandement, indiquant par là sa résolution de vaincre ou de périr.
  2. La manœuvre de Napoléon quittant Vérone pour aller tourner Caldiero, qu’il ne pouvait emporter de front, et surprendre Alvinzy sur ses derrières dans des marécages où la valeur pouvait compenser le petit nombre, a été beaucoup louée, et elle ne peut pas assez l’être. Tout y est prudence et audace. Le général Bonaparte, se sachant perdu s’il ne passait le pont d’Arcole, y fait tuer ses meilleurs lieutenans et manque de s’y faire tuer lui-même. Là, il fut doublement grand par le génie qui conçoit et par l’héroïsme qui exécute, et il se plaça au rang des Alexandre et des Condé.