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au nom de l’empereur lui faisait aujourd’hui une place naturelle; c’est depuis le 10 décembre qu’il avait été élevé au maréchalat. Il y a assurément quelque chose d’émouvant à voir une de ces vieillesses épargnées sur les champs de bataille venir se briser sans gloire sur le pavé d’un chemin. Presque au même instant s’éteignait un autre soldat de l’empire, ancien aide-de-camp de l’empereur et l’un de ses compagnons à Sainte-Hélène, le général Gourgaud; mais celui-ci a succombé à la maladie. Ainsi disparaissent successivement tous ces hommes d’une génération déjà épuisée, et ils s’en vont précisément à l’heure où semblent revivre toutes les choses de leur jeunesse. Le maréchal Soult mourait tout juste le 2 décembre; aujourd’hui c’est le maréchal Exelmans, sans compter d’autres plus obscurs qui s’éteignent chaque jour. Tous ces vaillans et rudes soldats qui résument la gloire de la France résument aussi son histoire depuis cinquante ans. On peut retrouver dans leur vie la trace de toutes les époques qui se sont succédé. Ils venaient de la première république que beaucoup ont méprisée; ils ont grandi avec l’empire qu’ils ont aimé; ils ont traversé la restauration en la servant loyalement, en s’y résignant, ou en cherchant l’indépendance dans la retraite. La plupart se sont rattachés au gouvernement de juillet, et voici que les derniers d’entre eux ont assez vécu pour voir deux fois recommencer le même cercle d’événemens, aboutissant deux fois aux mêmes résultats représentés dans une mesure différente par le même nom! Quant à eux cependant, leur nom reste attaché à un autre temps. Ils appartiennent à tout ce passé où ils ont vécu, et c’est à ce titre que toute justice est due à leurs actions et à leur mémoire.

Mais cette justice, c’est l’œuvre de l’histoire de la rendre aujourd’hui; c’est l’œuvre de l’histoire de faire équitablement la part de chacune de ces époques dont ils ont été les témoins et les acteurs dans leur longue carrière, sans sacrifier l’une à l’autre. M. de Lamartine, on le sait, a entrepris l’histoire de l’une de ces époques, de la restauration ; il la poursuit en ce moment encore par la publication d’un nouveau volume. Dès le premier moment, on pouvait se demander avec quelque inquiétude sous l’empire de quelle inspiration M. de Lamartine retracerait le tableau de ce temps. Serait-ce l’historien des girondins, le tribun de 1 848 qui tiendrait la plume? Serait-ce l’ancien serviteur de la restauration? Il est évident jusqu’ici que cette dernière influence domine dans les jugemens de l’auteur. D’ailleurs, sans se piquer d’une scrupuleuse exactitude dans les détails et en négligeant bien des côtés positifs, M. de Lamartine connaît mieux l’époque dont il parle aujourd’hui, et il n’a point de peine à en ressaisir certains aspects avec toute la puissance d’un talent supérieur. Seulement il est des penchans d’esprit que l’auteur des Girondins semble désormais impuissant à vaincre; il est des distinctions morales qui s’effacent dans son intelligence. M. de Lamartine a donné autrefois le triste exemple de ces confusions entre les plus nobles images et les plus odieuses figures de la révolution. Appliquez le même procédé à une époque comme celle de la restauration, — il aboutira à un résultat identique. Un caprice de réhabilitation ira rechercher les personnages d’un rôle équivoque, et la sévérité sera réservée pour les hommes dont le nom est resté le plus intact. La restauration aura sa Jeanne d’Arc dans une favorite, et M. Royer-Collard sera un sophiste! pour peu qu’on observe de près l’histoire de la