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pays, de lui adresser la parole, de le sonder sur ses intentions définitives quant à la conclusion à donner à la révolution de février. Les voyages de Lyon et de Strasbourg-il y a deux ans, ceux de Poitiers et de Dijon l’an dernier, ont été des événemens à ce titre. En les envisageant du point où nous sommes, on peut y voir comme des jalons conduisant aussi droit que possible au dénoûment; mais c’était une lutte engagée dont le prix était fort différent selon l’issue qu’elle pouvait avoir. Les conditions sont bien autres aujourd’hui. On ne saurait méconnaître l’apaisement qui s’est fait dans les esprits, et dont le voyage de Strasbourg ne fait qu’offrir une manifestation particulière. Il y a quelque chose de plus : tout ne s’est point passé sans surprise assurément, depuis quelques années, parmi nous; or il semble que les événemens mêmes aient épuisé cette faculté d’étonnement. On peut ressentir quelques craintes secrètes là où on sait les écueils les plus voisins et les plus sérieux ; on ne s’étonne plus de grand’chose, et encore moins est-on disposé à dire non à quoi que ce soit. Que faut-il conclure politiquement de cet état des esprits? C’est que la France, en vérité, n’est point un pays aussi ingouvernable, aussi indiscipliné qu’on le dit souvent. Nous savons bien qu’il y a des momens où la France veut être gouvernée à tout prix, tandis qu’il en est d’autres où elle ne veut point être gouvernée du tout, et c’est ce qui jette de telles complications dans notre vie politique; mais n’est-ce point le travail des pouvoirs intelligens de tirer de ces complications mêmes les élémens d’une direction juste, modérée et ferme en même temps, qui suffise aux instincts les plus divers du pays?

Observez à un autre point de vue cette simple inauguration d’une nouvelle ligne de fer. En réalité, si l’on veut prendre une idée exacte de notre temps, c’est là qu’il faut aller, — dans quelqu’une de ces fêtes où tout semble s’effacer devant les splendeurs du génie de l’industrie. Le railway de Strasbourg vient se relier aux immenses travaux de ce genre qui tendent à envelopper la France et l’Europe. Paris est aujourd’hui en contact avec l’Océan, la Manche et la Belgique par les lignes de Nantes, du Havre et du Nord; dans quelques mois, il touchera à Bordeaux, et dans peu d’années à la Méditerranée. Par l’achèvement du chemin de Strasbourg, il est mis en communication avec l’Allemagne et la Suisse; la route est ouverte sur notre sol du Rhin à l’Océan, et va desservir le mouvement des contrées allemandes vers le Nouveau-Monde. Une note récente du Moniteur exposait l’état actuel des chemins de fer français : sur 6,983 kilomètres concédés jusqu’ici, plus de 3,000 sont achevés aujourd’hui et exploités. Les concessions récentes s’élèvent à 2,921 kilomètres. Par les résultats déjà acquis, la France surpasse l’Allemagne, la Prusse notamment, où il n’y a qu’un mille de railway par 1,159 milles carrés et par 37,151 habitans, tandis qu’en France il y a 1 mille de chemin par 829 milles carrés et par 20,286 habitans. Et qu’on songe qu’entre le commencement et l’achèvement de ces travaux, c’est-à-dire dans une période de dix années, une révolution a bouleversé la France! Joignez encore à ceci tant d’autres œuvres de l’industrie, les monumens qui s’achèvent, Paris percé de toutes parts, les fondemens des constructions nouvelles du Louvre scellés d’hier à peine : n’aperçoit-on pas quelque chose de cet immense mouvement matériel dont nous parlions, lequel se poursuit incessamment à travers les