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la revoir !… Mon Dieu ! mon Dieu, encore une fois, une seule fois, montrez-moi mon enfant !

Ces mots, ou plutôt ces cris de mère avaient été si douloureux, que Ropars ne put retenir ses larmes. Il assit la mourante sur le parapet et s’agenouilla près d’elle pour la soutenir.

— Du courage, Geneviève, balbutia-t-il ; regarde bien de ce côté… entre la ligne du ciel et la ligne de la mer…

— Je regarde, dit la mourante, qui semblait rassembler tout ce qui lui restait de vie dans cet effort… Soulevez ma tête, Mathieu… cachez-moi le soleil…

Elle s’interrompit par une exclamation étouffée : — Ah !… la voilà ! la voilà ! s’écria-t-elle… Elle m’a vue… elle lève les bras… Francine… ma fille, mon enfant !

Elle se pencha en avant avec un si brusque élan, que, sans Ropars, elle se fût précipitée sur les rochers qui descendaient à la mer. Un fugitif rayon de vie avait éclairé ses traits ; elle envoyait à l’enfant des baisers en lui parlant comme si elle eût pu l’entendre ; elle élevait au ciel ses mains jointes avec des supplications rapides et entrecoupées ; elle souriait et pleurait à la fois. Enfin les forces lui manquèrent pour tant d’émotions, sa tête retomba sur l’épaule du quartier-maître, qui, effrayé, la reprit dans ses bras pour la reporter à la maison ; mais elle lui fit signe qu’elle voulait rester sous le ciel. Il la déposa sur le banc où la famille avait coutume de se réunir tous les soirs en face de la mer, alors éclairée par le soleil levant. Après une défaillance assez longue, elle rouvrit encore les yeux et demanda sa fille. Mathieu regarda vers la poudrière et lui dit que Dorot l’avait emmenée. Elle inclina la tête avec une tristesse résignée.

— Il a bien fait, reprit-elle d’un accent affaibli ; je sens d’ailleurs… que ma vue se brouille… je ne pourrais plus l’apercevoir… et… j’ai encore quelque chose à vous dire… Approchez-vous, Mathieu… plus près… la voix me manque… Donnez-moi votre main, je veux être sûre que vous m’entendez.

Ropars s’agenouilla sur le sable, une main dans celles de la mourante et l’autre passée derrière elle pour la soutenir.

— Vous allez rester seul, continua-t-elle ; ailleurs, vous pourriez peut-être le supporter ; mais ici, au milieu de la mer, ce n’est pas la vie d’un homme ni d’un chrétien… Vous êtes habitué à avoir quelqu’un pour vous faire compagnie… Pour vous aimer… Quand je n’y serai plus,… il faudra bien qu’une autre prenne ma place.

— Jamais ! interrompit Ropars.

Elle lui imposa silence de la main.

— Taisez-vous, dit-elle doucement ; vous devez le penser tant que je suis devant vos yeux… mais, quand on m’aura mise dans le cercueil,