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— Merci, murmura-t-elle, votre absolution prévaudra devant la Trinité, Mathieu ; à cette heure, je me sens en paix.

Un rayon de soleil qui glissait entre les rideaux de la fenêtre arriva jusqu’à son lit ; elle se retourna.

— Voici le jour, continua-t-elle ; je n’espérais plus le revoir… Dieu m’a donné un répit !… Il a voulu m’accorder la dernière joie que j’attendais sur la terre… Vous ne me la refuserez pas non plus, mon Mathieu.

— Demandez, Geneviève, dit le marin ; tout ce qu’un homme peut faire, je le ferai.

Elle lui prit la main et le regarda.

— Vous m’avez dit, n’est-ce pas, que le cousin pouvait voir et comprendre vos signaux ?

— Je l’ai dit, et c’est la vérité.

— Alors, au nom de votre amitié pour moi, Mathieu, je vous prie de l’avertir tout de suite qu’il conduise Francine sur la terrasse de son île ; quand elle y sera, vous me prendrez dans vos bras, vous me porterez jusqu’à la grande Roche, et, si Dieu me fait miséricorde, j’y arriverai encore assez vivante pour voir une fois mon enfant et l’embrasser de cœur.

— Cela sera fait comme vous le voulez, Geneviève, dit le marin, qui, gagné par les pressentimens de la mourante, avait renoncé à l’espoir et ne trouvait plus la force de lui rien refuser.

— Vite alors, bien vite ! balbutia-t-elle, car je sens que Dieu me demande.

Le quartier-maître se précipita au dehors, comme s’il eût craint que le temps lui manquât ; mais il rentra presque aussitôt et cria que Francine était sur la terrasse de la poudrière avec Dorot. La mourante poussa un faible cri de joie en lui tendant les mains. Il l’enveloppa dans sa cape d’hivernage, et l’enleva doucement dans ses bras jusqu’au parapet de la plate-forme.

— Où est-elle ? demanda la malade, dont les yeux étaient blessés par l’éclat du jour, et qui s’efforçait en vain de voir ; je ne distingue rien, Mathieu ; où est l’enfant ? Montrez-moi l’enfant !

— Regarde là, à nos pieds, répliqua le marin ; vois-tu la grande roche ?

— Oui.

— Peux-tu suivre le bouillonnement de la mer le long de la barre ?

— Oui, oui.

— Et là-bas, plus loin, sur les récifs, reconnais-tu les murs de la terrasse ?

— Là-bas ?… non… il n’y a qu’un nuage ! Je n’aperçois rien !… Oh ! s’il était trop tard ! si je l’avais sous mes yeux et si je ne pouvais plus