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— Le moyen de le faire venir ? dit tristement le marin ; avez-vous oublié que l’île était en quarantaine ?

— Quoi ! ne pouvoir même sauver son ame ? reprit Geneviève, qui joignit les mains ; ah ! suis-je donc condamnée à mourir sans être réconciliée ? Mon Dieu ! que faire ? Le plus misérable pécheur peut avouer ses fautes et en demander l’absolution ; mon Dieu ! resterai-je seule sans secours ?…

Elle s’arrêta tout à coup en portant les deux mains à son front.

— Ah ! je me souviens maintenant, reprit-elle ; ne m’avez-vous pas dit que sur vos navires, quand il n’y avait point de prêtre au moment de la mort, tout chrétien pouvait le remplacer ?… que Dieu avait égard à l’intention ?

— Je vous l’ai dit, répliqua Ropars, et tous les hommes de mer du pays vous le répéteront sur la foi de leurs recteurs.

— Alors, reprit la mourante en tournant vers le marin son œil enfiévré, venez à mon aide et écoutez-moi, je veux me confesser à vous !

Elle s’était redressée sur son coude en se signant. Mathieu parut saisi, mais ne trouva à opposer aucune objection. Ainsi que nous l’avons dit, il appartenait à cette race presque éteinte même en Bretagne, chez laquelle survivait la foi forte et simple d’un autre temps. Souvent, à l’heure du naufrage, on avait vu ses pareils, après avoir épuisé tous les moyens de salut, s’agenouiller pour attendre la mort, et se confesser l’un à l’autre comme les anciens preux au moment du combat. Il fut donc plus troublé que surpris de la demande de Geneviève, et, quand il l’entendit murmurer la prière qui précède l’aveu des fautes, lui-même se découvrit et fit le signe de la croix, prêt à accomplir le saint office que la nécessité lui confiait.

Ce fut quelque chose de lugubre et de touchant. Les premières lueurs du matin éclairaient l’alcôve d’une douteuse clarté ; la tête échevelée de Geneviève était penchée vers la tête grise de Mathieu, et l’on entendait le murmure de cette suprême confidence poursuivie à voix basse et souvent interrompue par l’épuisement de la mourante ou les prières du marin qui s’efforçait de la lui faire abréger ; mais elle reprenait toujours avec cette persistance acharnée des consciences sévères pour elles-mêmes qui ne pensent jamais s’être assez accusées. Enfin, quand elle eut achevé, Ropars détacha du chevet le crucifix d’ivoire ; il l’approcha des lèvres de Geneviève, et, posant la main sur son front avec une gravité douloureuse : — Que Dieu te pardonne comme je le fais, autant que je le puis, dit-il, et, s’il ne veut pas que tu vives pour mon bonheur, puisse-t-il te trouver une place dans son paradis !

Le visage de la malade prit une expression d’ineffable sérénité.