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bruit, redoublait la folâtrerie de ses mouvemens. Tout à coup le piquet, ébranlé par tant de secousses, fut arraché de terre, l’animal bondit de côté, et, ne se sentant plus retenu, prit sa course vers l’autre extrémité de l’île.

Les deux sœurs poussèrent d’abord un cri, puis, par un élan irréfléchi, s’élancèrent ensemble à sa poursuite. L’enceinte de corde fut franchie, et elles s’engagèrent le long des escarpemens, en appelant Brunette, qui, selon son habitude, les attendait en bêlant et s’enfuyait à leur approche. Emportées par la poursuite, elles arrivèrent ainsi au sommet de l’île, suivirent les pentes qui descendaient à la mer, et atteignirent le fond des ravines opposées à leur habitation. Ce fut là seulement que Josèphe s’aperçut de leur désobéissance ; elle s’arrêta haletante et retint sa sœur dans ses bras.

— Pas plus loin, Zine, s’écria-t-elle ; il ne fallait pas venir ici, mère l’avait défendu.

La petite fille regarda autour d’elle et remarqua à son tour l’endroit où elles se trouvaient. C’était une large fissure ouverte dans la masse pierreuse de l’île et au fond de laquelle poussaient des touffes de grandes fougères et de genêts fleuris. À droite et à gauche, les parois du rocher étaient parsemées de saxifrages, de gazons marins aux chatons pourprés et « le digitales, qui dressaient dans les fentes leurs longues tiges chargées de clochettes roses.

À cette vue, Francine ne put retenir un cri d’admiration. C’était la première verdure et les premières fleurs qu’elle eût aperçues depuis qu’un ordre sévère la retenait sur le plateau aride occupé par la maison du garde. Aussi ne put-elle résister à la tentation ; elle s’échappa des mains de sa sœur sans vouloir rien écouter, et disparut en courant au milieu des touffes fleuries.

Après l’avoir en vain rappelée. Josèphe la suivit pour la ramener ; mais l’enfant allait de tige en tige sans vouloir s’arrêter. À chaque poignée de fleurs cueillies, Josèphe criait vainement : Assez ! Francine répondait : Encore ! et entassait dans son tablier, relevé par les deux coins, tout ce que sa main pouvait arracher. Il fallut que la place lui manquât pour qu’elle consentît à suspendra sa moisson. Chargée d’herbes et de fleurs sauvages qui retombaient en guirlandes jusqu’à ses pieds, elle voulut bien enfin reprendre la main de Josèphe, qui se remit à chercher sa route en écartant avec précaution les ajoncs épineux.

Les deux enfans allaient atteindre la lisière du petit fourré de landes et de genêts, quand la clochette d’avertissement se fit entendre au-dessus de leurs têtes ; elles s’arrêtèrent en levant les yeux : quatre infirmiers descendaient vers la ravine chargés de leur funèbre fardeau. Ils suivaient le seul sentier praticable sur la pente, et les deux petites