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à coup de ce calme profond; mais, comme le sage, nous étions préparés à tout, et nous nous joignîmes d’abord au cortège, quitte à nous étonner ensuite. Les sentinelles du palais, le menton appuyé sur le canon de leur fusil, nous regardèrent passer avec un étonnement stupide. Nous traversâmes une cour, nous grimpâmes un escalier, et nous entrâmes dans une galerie à l’extrémité de laquelle se trouvait une estrade. Elias y prit place; autour de lui se tenaient quelques individus, des fonctionnaires importans sans doute. — il nous parut alors âgé de quarante ans au plus; c’était un homme de moyenne taille, au visage rond, plein et régulier; son teint brun et cuivré décelait le cholo; sa physionomie grave et sérieuse nous sembla, quand il prit la parole, pleine de douceur et de bienveillance.

Au moment où Elias s’apprêtait à lire son factum, un refoulement eut lieu dans la galerie et nous porta jusqu’au pied de l’estrade. Nous luttâmes aussitôt pour nous dégager de la foule, et nous réussîmes à trouver une place sur le marche-pied d’une banquette qui garnissait le pourtour de l’appartement. Nous pûmes de cette hauteur dominer l’assistance, qui tout à coup avait rempli l’enceinte. Trois cents personnes environ se pressaient dans la galerie; les tapadas, qui dans ce nombre comptaient au moins pour les deux tiers, discutaient l’événement avec une telle animation, qu’à plusieurs reprises on dut réclamer le silence. Enfin Elias prit la parole, tous les regards se tournèrent vers l’estrade, et le silence se rétablit peu à peu. — Son pronunciamiento ne différait pas sensiblement de ceux que les années turbulentes de l’émancipation ont fait éclore en si grand nombre. Il exposa les difficultés de la situation, l’embarras des finances, la misère du pays, la stagnation du mouvement commercial, tous les désordres qu’entraînent d’ordinaire les guerres civiles, et montra combien il était nécessaire qu’un citoyen voulût bien essayer de rendre à la patrie le calme dont elle avait si grand besoin; puis, faisant à l’auditoire un appel qui demeura sans réponse, il déclara d’une voix émue que, faute d’un individu disposé à prendre la direction des affaires, il se sentait assez de dévouement pour remplir cette tâche épineuse jusqu’au jour où la volonté nationale, en lui désignant un successeur, lui permettrait de rentrer dans la vie tranquille dont il ne sortait qu’à son grand regret.

Le discours d’Elias ne souleva pas le moindre murmure, la moindre protestation dans cette ville qui, peu de mois auparavant, nous paraissait si dévouée à Vivanco. Quand le nouveau président, pour sortir du palais, passa devant les tambours rangés sous le péristyle, on battit aux champs, et le régiment qui gardait la ville se mit aussitôt en marche, musique en tête, parcourant les rues et faisant des haltes à tous les carrefours, pendant qu’une sorte de héraut lisait à haute voix un décret qui amnistiait tous les détenus politiques. Ainsi