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Les Indiens ont aussi leurs artistes : ce sont de braves ouvriers de Cusco et de Chuquisaca, qui se bornent à reproduire mélancoliquement leurs anciens chefs incas. Toujours une douzaine de figures disposées sur une même toile avec l’ordonnance irréprochable d’un échiquier : elles sont uniformément revêtues d’une sorte de dalmatique, portent au front le gland rouge et la frange, marque distinctive du pouvoir souverain, et tiennent à la main le bâton de commandement commun à presque tous les caciques de l’Océan Indien. Nous avons eu sous les yeux plusieurs de ces figures, elles sont convenablement conçues et agréablement peintes; mais ce qui surtout les caractérise, c’est une expression de tristesse et de découragement qui serre le cœur.

L’art de l’ornementation a été très cultivé à Lima et plus encore dans les villes de l’intérieur; quant à celui de la statuaire, rien n’indique qu’il ait eu des adeptes. — Un Saint Jean-Baptiste et un Christ flagellé qui rappellent la manière de Benvenuto Cellini sont, avec la Sainte Rose de Mazza, les seuls bons modèles que l’on rencontre dans la ville. En revanche, les églises sont riches d’admirables sculptures sur bois. Nous ne savons à qui attribuer les boiseries de la cathédrale : celles de San-Francisco et les autres ouvrages répandus dans les diverses églises ont-ils été exécutés à Lima? On l’assure, et nous avons reconnu en effet dans presque toutes les statuettes un caractère de physionomie particulier au pays. Malheureusement le clergé péruvien s’acharne trop souvent ici à faire disparaître sous d’épaisses couches de vernis tout le fini du travail.

Tel est le triste état des arts au Pérou. Enfans de la paix, ils devaient cruellement ressentir l’influence des agitations révolutionnaires. Pourtant il nous semble impossible que, favorisée par le repos enfin rendu au pays, par une nature magnifique, par des modèles d’une grâce enchanteresse, la passion des arts ne se réveille pas dans la société péruvienne. Plusieurs jeunes Liméniens, qui aujourd’hui étudient en France, pourront un jour regagner leur ville natale et y renouer, n’en doutons pas. la chaîne des traditions qui semblent désigner Lima comme le berceau de l’art américain.


III. — UNE EXÉCUTION ET UN PRONUNCIAMIENTO. — SITUATION DU PÉROU.

En présence des chefs-d’œuvre dus à une époque d’ordre et de paix, notre pensée se reportait involontairement vers les tristes émotions dont le Pérou semble aujourd’hui délivré. Pendant notre séjour dans la capitale péruvienne, nous fûmes témoins, sur la Plaza-Mayor, de quelques étranges scènes qui nous montrèrent sous un jour peu favorable la vie politique du pays. C’est là que s’exécutent les sentences capitales, c’est là aussi que se sont dénoués la plupart des drames ou