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le sol, la plume hérissée, l’œil sanglant comme le rubis, l’aile traînant en bouclier jusqu’à terre. Le premier choc est terrible : chaque coup de bec fait voler un nuage de plumes, le sang jaillit sous les poignards d’acier. Parfois, exténués, ils s’arrêtent, les poumons en mouvement et fouillant du bec la poussière; puis ils reviennent à la charge avec une furie que semblent exciter encore les épithètes et les exhortations de l’assemblée. Un des coqs tombe enfin sur le flanc : le vainqueur s’approche alors, pose la griffe sur le cadavre, dresse fièrement la tête, jette sur l’assemblée un insolent regard, et, superbe comme un héros de l’Iliade, il pousse un cri de victoire.

C’est un singulier contraste que celui des spectacles favoris des Liméniens avec la douceur qui fait le fond de leur caractère. Malgré l’absence presque complète de police, rien n’est plus rare qu’un assassinat dans la capitale du Pérou. Les vols à main armée sur les grandes routes et les filouteries dans les villes sont les seuls délits qu’on ait à y réprimer fréquemment. L’esprit militaire se conforme lui-même aux pacifiques allures du caractère national. L’odeur de la poudre n’enfièvre guère les Péruviens, et l’héroïque ivresse dont parlent leurs bulletins ne les emporte jamais bien loin. Bien différens des peuples plus avancés, ils se soucient médiocrement d’abreuver leurs sillons avec le sang des ennemis; le guano leur semble un engrais infiniment préférable. Les terribles spectacles du cirque sont donc bien moins pour le Péruvien un enseignement d’insensibilité qu’une école d’audace, de sang-froid et d’adresse. Nos théâtres, où souvent se produisent sous une forme attrayante les plus coupables théories, ont réveillé des instincts criminels qui long-temps encore resteront inconnus aux aficionados du cirque del Acho et de la casa de gallos.

La population de Lima n’est pas étrangère d’ailleurs à des jouissances plus raffinées que celles de ces représentations fiévreuses. Suivons-la au Coliseo. C’est un édifice qui n’a aucune apparence extérieure. On y entre par une petite porte percée dans un mur de craie et surmontée le soir d’un falot, puis l’on traverse une cour, l’on gravit un perron qui aboutit à quelques ouvertures pratiquées dans une lourde maçonnerie en forme de four à chaux. l’on traverse un couloir assez mal éclairé, mais assez large pour préserver un habit noir des frictions farineuses des murailles, et l’on se trouve dans la salle. Elle est de forme ovoïde, et la scène dans son plus grand diamètre est parfaitement en vue des coins les plus extrêmes; son ordonnance est fort bien entendue, sa décoration assez convenable. Le parterre était divisé en stalles un demi- siècle avant qu’on eût introduit cette innovation dans nos théâtres de France. Les deux rangs de loges, dont chacune peut contenir huit personnes, sont placés sur un même plan vertical, et par conséquent en pleine lumière. La loge du président,