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au-dessus, un cordon de maçonnerie, sur lequel les espadas ou les capeadores de a pie peuvent, en cas de poursuite trop périlleuse, s’élancer pour se soustraire au taureau furieux; plus haut, des gradins qui s’élèvent en amphithéâtre jusqu’aux loges; au milieu de l’arène, un groupe de colonnettes supportant un pavillon mauresque nommé templador, refuge des utilités du combat; enfin, du côté du toril, trois portes, — l’une destinée aux taureaux, l’autre au gardien, celle du milieu, la plus grande, aux acteurs de la lutte, — voilà quelle était la disposition du cirque del Acho, disposition dont le principal mérite était de grouper le public dans un ordre des plus pittoresques. Rien ne peut donner une idée du spectacle éblouissant qu’offrait ce vaste amphithéâtre le jour où le président Vivanco et sa femme devaient venir assister à la représentation solennelle si pompeusement annoncée dans les rues de Lima. Dès notre entrée, nous fûmes éblouis par l’éclat du soleil, par le mouvement de cette multitude dont les orbes multicolores et mobiles allaient en s’élargissant des gradins contigus à l’arène jusqu’aux hauteurs du cirque, semblables aux fantastiques créations d’un kaléidoscope gigantesque. Comment donner une idée de cette cohue turbulente où se pressaient tous les costumes du Pérou, depuis l’élégante saya des Liméniennes jusqu’au simple vêtement des femmes de la campagne ou des petites villes voisines, dont un ample chapeau de paille fleuri et enrubanné ombrageait le visage bruni par le soleil? Comment donner une idée surtout de la confuse rumeur qui arrivait à nos oreilles, mêlant dans un contraste étrange les plaintes aux éclats de rire, les jurons aux sifflets, et dominée de temps à autre par le cri bizarre des marchands de dulces ou de cigarros ? Mais tout à coup un grand silence succède à tout ce bruit; des fanfares ont annoncé l’arrivée du directeur suprême. Le président Vivanco est entré avec sa femme et les officiers de sa suite en grande tenue dans une loge magnifiquement tendue de velours cramoisi. Une détonation a retenti sur le templador, dont la girouette est mise en mouvement par une fusée qui pousse des sifflemens de couleuvre effarouchée sous la lumière sans rivale du soleil. C’est le signal de la fête. La porte de l’arène s’ouvre, et alors se succèdent dans l’ordre accoutumé tous les épisodes sanglans ou bouffons promis à la curiosité des aficionados liméniens. D’abord c’est tout le personnel du cirque qui défile en bon ordre; six chevaux pomponnés, aux jambes grêles, à la brusque et vive allure, sont attelés à un châssis garni de courroies et de crochets destiné à entraîner les victimes. Derrière eux viennent quatre capeadores à cheval, deux capeadores à pied, trois rejoncadores, trois espadas, trois puntas[1] : le cortège est complet. Presque tous ces personnages

  1. On sait que la fonction des capeadores à cheval ou à pied est d’exciter le taureau en agitant leur manteau; celle des rejoncadores est de lui lancer le javelot; les espadas le frappent de l’épée; les puntas lui décochent de loin des javelines.