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la sécurité publique, je veux parler des voraces. Cette milice improvisée se chargea de faire à Lyon, connue M. Caussidière à Paris, de l’ordre avec du désordre, ordre précaire à cause de son origine et toujours gros de périls pour le lendemain.

En 1848, les voraces représentent un moment toute l’autorité restée debout dans la cité. Née sur les hauteurs de la Croix-Rousse et composée d’ouvriers en soie, cette société était antérieure de quelques années à la révolution de février. Ni secrète, ni politique, ni bien étroitement organisée, elle s’était établie dans des vues d’économie domestique pour résister à certaines pratiques des marchands en détail, accusés de ne pas employer rigoureusement dans les transactions le poids ou la mesure légale, par exemple de se servir, dans le commerce des liquides, de la bouteille au lieu du litre. Ce furent les marchands, à ce qu’il paraît, qui, faisant allusion à la prétendue avidité de ces consommateurs exigeans, leur jetèrent le nom de voraces ou ventres-creux. Poussés par les circonstances, en 1848, à se mettre à la tête du mouvement populaire, les voraces occupent aussitôt les forts de la Croix-Rousse, ordonnent la démolition des fortifications intérieures, prennent possession de l’hôtel-de-ville de Lyon, et mettent sous leur garde la demeure du commissaire-général du gouvernement, dont ils dominaient le pouvoir à la fois superbe et humilié. Sans la dévastation des couvens qu’ils n’empêchèrent pas, sans quelques visites domiciliaires inopinées et brutales, on pourrait dire deux que, tout en se plaçant au point de vue de l’opinion la plus exagérée, ils assurèrent la sécurité des personnes et le respect des propriétés dans un moment où il n’y avait plus ni crédit, ni fabrication, ni salaire, et où le seul moyen de travail allait être une commande de 120,000 écharpes et de 43,000 drapeaux pour le compte du gouvernement provisoire. Du reste, ils ne recevaient point de solde, et, tandis que les ateliers nationaux coulaient à la ville de Lyon environ 1,600,000 francs pour des travaux qui n’en valaient pas 50,000, le service journalier des voraces, jusqu’au moment où ce corps fut dissous par M. Martin Bernard, n’imposa qu’un sacrifice insignifiant au trésor municipal. Jamais une institution improvisée n’avait plus exactement reflété la situation d’où elle était sortie. Durant son existence, elle nous donne le spectacle d’un effort persévérant, mais insensé, pour rétablir l’ordre en éternisant l’agitation. On cherchait le calme, hélas! dans la tempête.

Cependant, comme il ne s’était produit aucun système nouveau d’organisation industrielle jugé réalisable même par les masses, il fallait bien finir par rentrer dans les voies tracées par l’expérience. S’agiter bruyamment, se répandre dans les rues en poussant des cris, aller dans des clubs tumultueux, tout cela peut passionner quelque temps une population irréfléchie, qui se distrait ainsi de ses travaux