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ordonné le repos général des métiers pour le jour du jugement, mettant ainsi les ouvriers inoccupés à la disposition d’agitateurs politiques qui se précipitaient avec une aveugle ardeur au-devant d’une ruine inévitable. On prenait ses rêves pour des réalités, ses passions pour de la force.

Pendant les quatre jours que dura la lutte, on ne vit pas les tisseurs de soie se porter en masse sur les barricades[1]. Il n’y eut de leur part qu’un concours individuel à l’insurrection. La bataille de 1834 appartient bien moins que celle de 1831 aux travailleurs de la fabrique lyonnaise; mais ceux-ci n’en doivent pas moins porter pour une très large part la responsabilité de cette sanglante collision. Dans le tourbillon qui les emporte et dont ils sont le jouet, les mutuellistes ont perdu avec le sentiment de leur situation réelle toute pensée de devoir moral. Dépourvues de raison, de justice, de dignité, les démonstrations auxquelles s’abandonnent les chefs d’atelier et les compagnons à la veille des événemens de 1834 ressemblent absolument au délire de l’ivresse. Un esprit honnête, mais abusé, pouvait adhérer, en 1831, à l’idée du tarif. Quel esprit impartial aurait pu, en 1834, ne pas réprouver la folie de ces hommes amoncelant les matériaux d’un incendie où ils devaient se consumer eux-mêmes? Le germe vicieux déposé dans les intelligences avait porté ses fruits. On ne corrompt point l’esprit sans que la conduite de la vie ne s’en ressente immédiatement. Il est superflu de demander désormais si les ouvriers de Lyon ont tiré quelque avantage de leur participation au désordre politique. Les faits répondent assez haut. La vanité, que ne découragent pas toujours des ruines fumantes, ne trouvait pas même cette fois, comme en 1831, le prétexte d’un jour de triomphe pour se consoler d’un échec. Dans l’ordre matériel, des pertes considérables pour tous les éléments de la production, des malheurs individuels irréparables; dans l’ordre moral, des ressentimens qui épaississaient encore le nuage déjà mis sur la vérité, tel est le bilan de ces lamentables journées de 1834.

Le calme extérieur rétabli par la force, c’est la force qui le maintient durant les années qui suivent jusqu’aux nouvelles secousses réservées par la révolution de février à la population ouvrière de Lyon. Occupée par des troupes nombreuses, cernée par des fortifications dirigées contre elle-même, cette grande cité ressemble désormais à une ville nouvellement conquise, où la révolte menace incessamment d’éclater. Quelques sociétés secrètes essaient peu à peu de renouer leurs tronçons épars; mais il faut arriver aux dernières années antérieures à 1848 pour reconnaître en elles la pâle image des puissantes associations politiques de 1834. Quant au mutuellisme, il avait, comme institution, sombré dans la tempête; tous les membres de cette société

  1. Voyez l’Histoire de Lyon, par M. Monfalcon, t. II, où se trouve le relevé officiel de l’état civil et de la profession des morts et des blessés recueillis dans les hôpitaux.