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combattant, » connaissait bien les sentimens d’une population toujours avide d’un mot d’ordre à traits saisissans. Même à propos des débats sur le taux des salaires, au moment où la question remplissait de bruit les ateliers et les lieux publics, les ouvriers recherchaient plus encore le côté idéal que le côté positif de ces discussions. Nous dirions volontiers que l’état des intelligences lyonnaises révèle certaines inclinations métaphysiques que l’ignorance obscurcit, que la passion dénature, mais qui n’en gardent pas moins leur étrange caractère. Ce penchant, on n’y prenait pas garde tant qu’il restait muré dans l’intérieur des familles, tant qu’il s’épanchait en de solitaires rêveries, contribuant peut-être à retenir le canut paisible en dehors des ardentes préoccupations de la vie réelle; cependant il n’en existait pas moins au fond des âmes; il semble venir du genre même de travail des ouvriers de Lyon. Leur besogne est presque toujours purement machinale; pendant que les bras sont occupés, la tête, ne fût-ce que pour échapper à l’ennui d’un labeur monotone, se crée un monde chimérique auprès duquel l’enceinte de l’atelier semble bien triste et bien étroite.

S’il y avait une population prédestinée par les tendances de son esprit à recevoir l’enseignement socialiste tel qu’il s’est produit dans notre temps, c’était à coup sûr la population lyonnaise. Des généralisations vides, mais tranchées, des abstractions profondément fausses, mais saisissantes dans la forme, n’apportaient-elles pas un ample aliment à la passion dominante? Ces vices des imaginations, ces tendances, ces goûts qui caractérisent la vie intime, ont dû se produire sur le tumultueux théâtre de la vie extérieure, dans cette histoire écrite en caractères funestes sur le pavé de la cité.


III. — LES INSURRECTIONS ET LES SOCIÉTÉS SECRÈTES.

La riche industrie à laquelle est vouée la population ouvrière de Lyon, soumise comme toute industrie de luxe à mille influences capricieuses et dépendant en outre, pour la plus grande partie de ses produits, de la consommation étrangère, se trouvait fatalement condamnée à de fréquentes vicissitudes. De tout temps, elle s’est vivement ressentie des perturbations extérieures qui bouleversaient les conditions habituelles de son marché le plus important. La politique intérieure, à deux époques différentes, lors de la révocation de l’édit de Nantes et plus tard sous la terreur, vint aussi lui porter une cruelle atteinte, qui semblait devoir anéantir pour toujours la prospérité lyonnaise. Jamais pourtant, avant 1831, on n’avait vu les ouvriers en soie prendre envers l’autorité une attitude hostile; ils passaient au contraire pour une race inoffensive et incapable d’une grande énergie. La révolution de juillet n’avait produit parmi eux aucun trouble apparent.

Dès les dernières années de la restauration cependant, un œil