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n’est pas loin où notre flotte tout entière ne sera plus composée que de navires à vapeur, et, dès cette année, deux vaisseaux de ce genre vont aller y remplacer un égal nombre de navires à voiles. Il y a quelques années, on traitait d’esprits aventureux, d’imaginations chimériques ceux qui demandaient instamment à la France qu’elle fît un effort puissant pour se créer une marine à vapeur et s’approprier de bonne heure tout ce que l’emploi du nouveau moteur lui promettait d’avantages. On voulait bien accorder aux novateurs qu’en certains cas une escadre pourrait trouver là pour se remorquer d’assez bons auxiliaires, mais on ne trouvait pas que cela méritât d’être acheté au prix d’une révolution. Deux ans ne s’étaient pas écoulés, que la remorque, d’utile, était devenue nécessaire ; on voyait les autres, grâce à cette précieuse assistance, arriver si vite, qu’on craignait d’être partout en retard, et, l’opération de la remorque étant souvent fort difficile à exécuter à la mer, les esprits les plus rebelles à l’évidence en venaient à penser qu’il serait peut-être plus commode de se remorquer soi-même. De là au navire à vapeur proprement dit, il n’y a qu’un pas, et ce pas, on est en train aujourd’hui de le faire : voilà comment, après s’être fait bien long-temps prier, après avoir perdu des années et s’être laissé devancer par d’autres plus avisés de leurs intérêts, on en est revenu forcément aux idées de ces esprits chimériques que l’on repoussait avec tant de dédain ; seulement on y est revenu par le chemin le plus long.

Dieu merci ! la perte de temps n’est pas irréparable, et, comme dit le proverbe, vaut mieux tard que jamais. Deux vaisseaux à vapeur vont donc aller rejoindre l’escadre. L’un, le Charlemagne, est un ancien vaisseau à voiles auquel on a appliqué une machine. Il est bien entendu que le vaisseau a conservé ses formes primitives, destinées avant tout à le mettre en état de résister à la pression de ses voiles et à faciliter ses mouvemens, alors que le vent devait être son unique moteur. Il a conservé également son immense mâture, ce qui ne veut pas dire que, comme navire à voiles, il n’ait rien perdu de ses qualités, tout au contraire. Comme navire à vapeur, l’excellence de sa petite machine lui a fait obtenir des résultats fort remarquables ; sa vitesse est de neuf milles à l’heure en temps calme. En somme, c’est peut-être ce qu’on pouvait faire de mieux en poursuivant deux buts à la fois et en voulant contenter deux maîtres. L’autre vaisseau, le Napoléon, est un vaisseau à vapeur dans la complète acception du mot. Construit dans un seul but, sur un plan conçu et combiné par une seule tête, celle de M. Dupuy de Lôme, jeune ingénieur d’une rare intelligence, ce bâtiment doit réaliser, si ses essais réussissent, tout ce que l’état actuel de la science permet d’attendre de plus parfait dans la construction du navire de guerre mû par la vapeur. Je dois ajouter que sa machine, exécutée sur un plan défectueux malgré les prières et les