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sous l’empire de la discipline militaire, dont j’ai déjà signalé l’heureuse influence, avait alors porté tous ses fruits, et je ne crois pas qu’on ait vu nulle part un plus complet assemblage des vertus patriotiques et guerrières. Ces vertus, pratiquées sans interruption depuis dix ans, étaient passées à l’état de tradition, de loi écrite dans tous les cœurs et obligatoire pour toutes les consciences. Il faut chercher là le secret de la grande influence que l’escadre allait exercer en Italie sur le cours des événemens. Elle n’eut point de combats à livrer ; elle n’emprunta sa puissance ni à la portée redoutable de ses canons, ni à la crainte qu’inspiraient les gouvernemens éphémères qui, pendant trois ou quatre mois, se succédèrent à Paris ; elle se fit respecter par elle-même et par cet ascendant qu’exerce toujours la force qui se modère au milieu du jeu désordonné des passions humaines. Cette flotte opposant aux exemples de la licence et de l’anarchie celui d’une inflexible discipline, ces officiers si calmes, si sages, si dévoués, ne songeant jamais au parti qu’ils pourraient tirer des révolutions au profit de leur ambition, mais au contraire occupés sans cesse à démêler dans les événemens de quel côté étaient l’honneur et les intérêts de la patrie, pour marcher à tout prix dans cette voie : voilà ce qui entourait notre escadre d’un respect universel et lui donnait cette autorité morale dont, heureusement pour la France, elle a fait si bon usage.

Il se peut qu’elle ait quelquefois exercé cette influence d’une manière peu conforme aux vues du gouvernement dont émanaient les ordres qu’elle recevait. En des temps réguliers, cette conduite eût été blâmable ; mais, alors que le pouvoir changeait sans cesse de mains en France, était-il possible qu’une direction intelligente et suivie fût imprimée aux mouvemens de l’escadre de si loin et en face d’événemens souvent imprévus, toujours connus et appréciés d’une manière imparfaite ? Le soin de cette appréciation ne revenait-il pas naturellement à l’amiral qui était sur les lieux, et qui, en voyant se dérouler devant lui, jour par jour, le long drame dont l’Italie était le théâtre, s’inspirait, sur chaque décision qu’il avait à prendre, de l’esprit de l’escadre, de cet esprit si éminemment national ? Non, jamais l’histoire ne reprochera à nos marins le rôle que la nécessité leur fit jouer alors, ou bien, au même titre, elle devrait reprocher au pays les efforts que, sur tous les points du territoire, il fit pour se sauver lui-même, quand son gouvernement le laissait périr. L’escadre agit comme agirent les généreux citoyens qui défendirent victorieusement l’assemblée constituante le 15 mai 1848. C’est qu’en effet, quoiqu’à distance, elle ne pouvait manquer de recevoir le contre-coup de l’opinion honnête et éclairée du pays ; c’est qu’elle apprenait de lui à ne prendre conseil que de son patriotisme et de son bon sens dans les circonstances critiques où elle allait se trouver ; c’est qu’enfin cette influence de la pensée publique venait