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soins et des peines infinies. Déjà monté sur son cheval thessalien Pyrithoüs, il rencontra Capito, qui arrivait d’un air effaré, comme un homme qui vient d’apprendre un événement d’une grande importance.

— Eh bien ! cher oncle, quelles nouvelles ? lui demanda Lucius d’un air distrait.

— La plus grande nouvelle, mon fils ! répondit le rhéteur. L’illustre Antonius Glabrio, la gloire de l’école d’Autun, cette rivale, s’il en est, de l’école de Trêves, vient d’arriver parmi nous, et doit lire aujourd’hui dans mon jardin, auquel j’ai donné le nom d’Académus, une déclamation qu’on dit admirable. Ce jour sera un jour célèbre dans les fastes de notre ville, un jour qui doit être marqué avec la pierre blanche, comme dit l’ingénieux Flaccus, et, ajouta-t-il d’un ton confidentiel et d’une voix que la joie rendait tremblante, j’espère faire entendre devant le Fronton éduen et la docte assemblée réunie chez moi ce panégyrique que vous ne connaissez pas encore vous-même. Beau Méléagre, au lieu d’aller poursuivre le sanglier de nos forêts sans craindre le destin d’Adonis, vous feriez mieux de venir vous joindre à nous.

— Je ne puis, dit en souriant Lucius, j’irriterais la chaste Diane, à qui j’ai fait vœu de consacrer ce jour, pour qu’elle me pardonne de n’avoir pas toujours obéi à ses saintes lois. Les Muses auront leur tour, ajouta-t-il gracieusement, et alors je saurai où trouver leur élève inspiré.

Ayant calmé de son mieux par ce compliment mythologique le dépit que son refus faisait éprouver au pauvre Capito, Lucius le salua et partit au grand galop de son cheval. Après l’élan extraordinaire qui avait emporté Lucius comme par surprise, le jeune homme était retombé dans sa légèreté et son insouciance accoutumées, et il s’écria gaiement : — Voilà qui est d’un bon augure pour cette journée menaçante. J’ai déjà échappé à deux dangers, les harangues des décurions et l’éloquence des rhéteurs, pires que le fer des Barbares. S’il faut succomber sous ce dernier fléau, soit ; la crainte ne m’aura pas fait perdre une heure de plaisir. La vie ne vaut ni un regret ni une parole sérieuse. Viennent donc les Barbares ! mais du moins encore cette chasse avant la destruction de l’empire !


J.-J. Ampère.