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furent remises au lendemain. Le lendemain en effet, l’amiral, accompagné du consul-général de France, se rendit chez le pacha. Il fallut traverser des rues sales et tortueuses, assez semblables à ce qu’étaient celles d’Alger aux premiers temps de notre conquête. Ces rues étaient encombrées d’arnautes, vaillante milice que fournissent au sultan l’Albanie et la Bosnie, ces deux provinces qui sont restées comme les vieilles citadelles du fanatisme musulman. Jamais plus beaux hommes n’ont porté plus fièrement d’ignobles haillons. Ils ont le teint blanc, l’œil bleu, la pureté des contours du visage et la noble tournure des montagnards du Caucase ; seulement leur longue moustache blonde et leurs traits fortement accentués donnent à leur physionomie un caractère plus expressif. Pour tout vêtement, ils portent une chemise en lambeaux qui laisse à découvert leur large poitrine, une sale fustanelle serrée autour d’une taille aussi fine que celle d’une femme, et sur la tête un bonnet rouge avec un long gland pendant sur l’oreille. Cette description serait incomplète, si l’on n’y joignait l’arsenal obligé de pistolets et de yatagans magnifiques qui brille à leur ceinture. La porte envoie cette milice fière et ingouvernable là où elle a des entreprises désespérées à tenter, ou des populations à traiter sans ménagement. Excellens soldats sur le champ de bataille, ils ont partout ailleurs la férocité et la turbulence d’une race de bandits, et le gouvernement turc, qui ne peut s’en passer à la guerre, en est toujours embarrassé en temps de paix. Toute la route du débarcadère au palais du pacha en était couverte, et leur mine insolente contrastait étrangement avec l’humilité des fonctionnaires turcs. Le pacha reçut l’amiral avec un grand empressement, et, après l’échange des politesses d’usage, la conversation politique s’engagea. Elle fut courte. L’amiral déclara au pacha que la France était fatiguée des alarmes journalières que l’on causait au bey de Tunis et des velléités guerrières que l’on manifestait contre lui. Elle avait pris le bey sous sa protection, et toute tentative faite pour l’attaquer serait réprimée par la force. « Si donc vous continuez à armer contre Tunis, attendez-vous, dit-il en finissant, à nous voir revenir en ennemis. » Cela dit, l’amiral se retira, et le jour même l’escadre s’éloigna de ces tristes parages.

Cette menace fut prise au sérieux, et elle devait l’être. En effets Tripoli est l’unique reste de la domination turque sur le continent africain. Que la place eût été enlevée par un coup de main, et le pays, qui est d’ordinaire en état presque constant d’insurrection, eût été livré sans retour à l’anarchie. Tous les efforts de l’empire ottoman eussent été impuissans pour y rétablir son autorité ; le commerce y eût perdu dès-lors toute sécurité, et il n’eût pas manqué de chercher d’autres routes pour pénétrer dans l’intérieur. Ces routes eussent été probablement celles de Tunis et de l’Algérie. La porte, éclairée