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que la paix fût troublée sur celle de ses frontières qui touche à la nôtre, et en retour elle lui a garanti le maintien de sa domination. Ce n’est pas tout, en effet, pour le bey de Tunis d’être maître chez lui ; il faut qu’il soit à l’abri des coups du dehors, et, réduit à ses propres forces, il serait incapable de résister à l’ordre de descendre du trône que le sultan lui ferait signifier par une escadre. Or il est notoire que plusieurs fois déjà cet ordre lui eût été envoyé de Constantinople, si le bras de la France ne se fût étendu pour le protéger.

Rien de plus net, de plus explicite, de plus ferme que la politique française en cette affaire. En dépit de tous les mauvais vouloirs et de toutes les intrigues qui poussaient le divan contre nous, nous avons déclaré que le bey de Tunis était notre allié, et que nous ne permettrions pas qu’aucune atteinte fût portée à sa puissance. Et c’est pour mettre le fait en accord avec les paroles que plusieurs années de suite notre escadre est allée séjourner devant Tunis tout le temps que la flotte turque était hors des Dardanelles. Si notre gouvernement n’eût montré cette vigueur et cette prévoyance, la porte, à l’heure qu’il est, serait rentrée en possession de Tunis ; au lieu d’un prince indépendant et ami de la France, nous aurions sur notre frontière de Constantine un pacha turc animé contre nous des rancunes de son gouvernement, qui ne nous a pas encore pardonné la conquête de l’Algérie, et peut-être animé aussi de rancunes étrangères. Tunis fût devenu un foyer d’intrigues sans cesse menaçantes pour notre colonie. Tous les ans donc, depuis 1843 jusqu’en 1846, l’escadre fut envoyée sur la rade de Tunis avec ordre d’y rester tout le temps que durait la tournée annuelle du capitan-pacha dans la Méditerranée. On jetait l’ancre fort loin de terre, à une lieue environ en face du cap Carthage, sur lequel s’élève aujourd’hui la chapelle consacrée par la piété du roi Louis-Philippe à la mémoire de saint Louis. Dans le fond de la baie, on voyait les blanches fortifications de la Goulette et les tentes du camp où les troupes du bey reçoivent d’un corps d’officiers français les enseignemens de la discipline européenne.

Je n’ai ici nul récit à faire, je n’ai rien à dire de ces stations répétées devant Tunis, sinon que, de tous les services accomplis par l’escadre, ce fut sans contredit le plus pénible. L’époque à laquelle on arrivait là était invariablement la même ; c’était celle des plus grandes chaleurs de l’été, et il fallait, sous un soleil dévorant, au milieu des maladies qu’il engendrait parmi les équipages, et avec le tourment des secousses presque sans relâche qu’une violente houle imprimait aux navires, demeurer la trois ou quatre mois dans une entière inaction, sans distraction aucune, pas même celle que les exercices de débarquement et de canonnage eussent pu apporter à ces journées d’une si triste monotonie. Tunis, horrible ville, séparée de la Goulette par une longue