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calme et serein, fier de sa responsabilité et de l’exemple qu’il doit donner à tous. Ou avec l’aide de Dieu il sauvera tous ces braves gens dont la vie lui est confiée, ou il mourra en faisant jusqu’au bout son devoir. Cette pensée qui l’anime anime avec lui tout le monde ; elle est portée dans tous les recoins du navire par ces jeunes aspirans qui se pressent autour du chef, avides de recueillir chacun de ses ordres, chacun de ses signes, pour les transmettre, avec l’agilité et l’intelligence de leur âge, là où le bruit des élémens déchaînés ne permet plus à la voix humaine de se faire entendre. Sur un champ de bataille où se joue la destinée des nations, le général peut voir quelquefois d’un œil stoïque ses moyens d’action détruits par le feu de l’ennemi : ou bien il aura des réserves pour changer la face de ses affaires, ou bien, s’il gagne la fin du jour, le soleil, en se couchant, pourra lui ménager pour le lendemain des chances nouvelles. Dans la lutte contre les élémens, point de repos ; le jour, la nuit, le combat dure, le combat sans témoin et sans gloire. Enfermé dans une citadelle que l’ennemi attaque de toutes parts et sans relâche, vous n’attendez, pour vaincre, de secours que d’en haut, et quelquefois ce secours ne vient pas. L’ame se trempe fortement dans ces épreuves, où le danger personnel est oublié en présence du danger commun, où chacun à chaque instant risque sa vie pour le salut de tous, et peut mesurer de l’œil combien est mince la barrière qui le sépare de l’éternité. Il est impossible, au sortir d’une pareille lutte, de ne point se sentir meilleur ; l’idée du devoir s’agrandit, la discipline prend quelque chose de sacré ; l’affection et le respect s’accroissent pour le chef avec qui l’on a été en péril : on pense à Dieu, à la vie future, et il semble que l’on domine de plus haut les mesquines agitations de ce monde. S’il est dans notre nature que les bonnes impressions ne soient pas de longue durée, celles-là du moins ne s’effacent jamais entièrement, et le patriotisme, la sagesse, la foi religieuse de nos populations maritimes en sont la preuve.

L’escadre reçut le violent coup de vent dont nous parlons. Elle sortait de Toulon pour s’exercer le 23 janvier au matin. L’amiral Hugon avait son pavillon sur le vaisseau à trois ponts l’Océan ; les vaisseaux le Généreux, l’Iéna, le Triton, le Neptune et la frégate la Médée avaient pris la mer sous ses ordres. Le temps était beau ; la brise, molle et languissante, avait forcé l’amiral, sorti le dernier, à se faire remorquer pour rejoindre ses vaisseaux, qui, surpris par le calme, ne pouvaient le rallier. Le baromètre montait, indice ordinaire d’une heureuse fixité dans l’état de l’atmosphère. Dans la nuit cependant la brise se fit du nord avec une si brusque violence, que l’amiral donna le signal de prendre tous les ris, c’est-à-dire de diminuer la voilure jusqu’à sa dernière limite.