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en moi une sourde haine contre tout ce qui porte le nom romain : je pourrais étrangler l’intendant des esclaves et m’élancer d’un bond vers mes forêts ; mais, en ces momens où le mauvais esprit me tourmente, une prière me calme ; la pensée du Sauveur pardonnant à ses bourreaux, de Marie au pied de la croix, m’apaise. Quand il me faut supporter les humiliations et les outrages, ce qui est dur pour une fille des Francs ; quand un esclave impur comme Bléda souille mes oreilles de ses paroles, quand un jeune seigneur comme Lucius me témoigne son mépris en m’offrant son amour, je sens la honte brûler mon front ; mais comment me plaindrais-je, moi, indigne pécheresse, misérable idolâtre, appelée à la lumière par la miséricorde infinie, lorsque le fils adorable de Dieu a été battu de verges et souffleté ? Alors que j’y songe, j’aime l’opprobre et le mépris. Hier, j’étais heureuse en pensant que j’allais souffrir pour ce divin maître, et que mon front porterait à jamais la marque de ma foi.

Lucius était entièrement subjugué par l’enthousiasme de la chrétienne ; il ne trouvait plus ces paroles légères et remplies par habitude et par souvenir d’allusions élégantes au paganisme ; il contemplait Hilda avec un incroyable ravissement ; toutes ses idées étaient en désordre. Cette femme dont la beauté le transportait, c’était une esclave, une chrétienne, une Barbare. Cédant à un entraînement qu’il ne pouvait s’expliquer, il lui avait parlé avec un abandon qu’il n’aurait eu avec personne ; il l’écoutait discourir avec autorité sur les choses célestes ; elle lui apparaissait à la fois fière et humble, superbe et domptée, fille sauvage des bois de la Germanie et martyre résignée dans l’atrium paternel. Le tumulte de son ame et de ses sens ne trouvait point de paroles pour s’exprimer. Tout à coup des mots barbares, inconnus à Lucius, se firent entendre dans le bois à quelque distance. Hilda prêta l’oreille avec attention, et, quand ceux qui les prononçaient se furent éloignés, elle dit : — Ce sont des esclaves francs qui s’entretiennent d’une expédition prochaine de leurs compatriotes. Le Seigneur a permis que je fusse là pour entendre leurs discours. Ne néglige point, Lucius, cet avertissement du ciel, car je sais que les esclaves sont en général bien informés des invasions. Quand ces bruits circulent parmi eux, il est rare que ce soit sans motif. Avertis donc ton père et l’évêque Maxime, afin que ta famille et le peuple chrétien se mettent en garde contre ces idolâtres.

Hilda avait replacé son fardeau sur sa tête, et elle allait se retirer. — Nous ne pouvons nous séparer ainsi, Hilda, reprit Lucius. Ce que tu m’as dit tout à l’heure remplit mon ame d’agitation, et voici que tu nous rends un signalé service en nous avertissant des complots de nos ennemis. Il faut que je te revoie, il faut que je l’entende encore. Tes