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l’amour du drapeau, qui n’est autre que celui de la patrie, toutes les nobles et mâles qualités de l’homme de guerre se développent et se conservent dans ces grandes écoles, et les nouveaux venus s’en pénètrent bien vite.

Cependant l’amiral entendait bien profiter de cet excellent esprit de l’escadre pour pousser son éducation aussi loin que possible. Si les anciens du cap Baba avaient peu à apprendre, les derniers équipages qui lui étaient arrivés n’en étaient pas au même point : il fallait leur fournir les moyens d’égaler leurs devanciers, et, par une activité sans relâche, entretenir chez tous l’étincelle du feu sacré. Deux fois au moins par semaine, l’escadre mettait à la voile et se livrait à une succession d’exercices qui formaient le jugement et le coup d’œil des capitaines et des officiers, qui endurcissaient nos jeunes matelots à la fatigue et les fortifiaient. Il y avait plaisir à voir la facilité avec laquelle ils manœuvraient leurs voiles, et leur adresse à manier le canon et le fusil. De nombreux tirs à boulet et à la cible en avaient fait d’excellens pointeurs, et la charge du canon recevait alors des perfectionnemens qui depuis se sont étendus à toutes les marines et permettent d’envoyer avec précision plusieurs coups à la minute. Une pratique assidue enseignait à nos hommes à écouter la parole de leur chef, à la distinguer au milieu du bruit et de la confusion en apparence la plus grande, et à lui obéir sans retard. Ils faisaient enfin un apprentissage bien important et bien difficile à bord, celui du silence, autant du moins qu’il est compatible avec la nature aussi fougueuse qu’intelligente du matelot français.

De temps en temps, l’amiral, pour exciter de navire à navire l’émulation du point d’honneur, ordonnait des chasses générales, espèces de combats de vitesse, dans lesquels chacun empruntait à la science et à son expérience tout ce qu’elles lui pouvaient fournir de moyens pour accélérer la marche de son vaisseau. D’autres fois, l’escadre allait jeter l’ancre au mouillage d’Imbro, petite île assez pittoresque, dépourvue de ports et de toute industrie, et visitée à peine de loin en loin par quelques barques, qui y portent les objets nécessaires à la vie. Cette île était habitée par des Grecs sujets de la Turquie, qui, étonnés de voir sur leurs côtes une flotte aussi nombreuse, ne pouvaient pas croire que nous ne fussions point les Moscovites, venant les arracher à la domination musulmane et leur apporter un âge d’or. Nous n’étions là que pour y mouiller ; on remettait bientôt à la voile, et l’on retournait à Besica, où chacun mettait son amour-propre à venir, avec une précision mathématique et malgré les vents et les courans, jeter l’ancre à la place même qui lui avait été indiquée par l’amiral. Exercice excellent pour préparer les vaisseaux en un jour de combat à aller prendre exactement le poste qui leur a été confié !