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entraîner à parler de ces choses à une belle Germaine aux yeux bleus, dans le bois des nymphes. La dryade cachée sous l’écorce de ce chêne s’étonne de nos discours, et sans doute nous allons entendre partir de derrière un buisson les éclats de rire moqueurs des faunes.

— Au nom de Dieu, noble Lucius, cesse de nommer ces fausses divinités auxquelles tu ne crois point, et prête-moi une oreille sérieuse pendant quelques instans, les seuls qui me seront jamais donnés pour toucher ton ame et ouvrir tes yeux. Écoute-moi, Lucius. Beaucoup des choses que tu m’as dites, je ne les ai pas comprises ; mais je sais que la réponse est dans le livre saint, qui contient toute vérité, et que je crois fermement être la parole de Dieu. Lis donc ce livre, ô Lucius, en implorant la grâce d’en haut ; consulte mon père Maxime, qui est plein de lumières et qui saura ce qu’il te faut dire. Ce n’est pas une Barbare ignorante qui peut lever tes doutes ou redresser tes erreurs ; mais, puisque le maître a daigné ouvrir son ame devant son esclave, l’esclave parlera avec confiance à son maître. Il faut que tu saches ce que Dieu a fait pour moi, car notre langue, ô Seigneur, doit célébrer tes louanges et publier tes merveilles.

Je suis née une pauvre idolâtre, esclave du démon, mais parmi les miens je n’étais point dans la servitude terrestre ; j’étais la fille d’un vaillant chef de tribu de la forêt Hercynienne. Le même jour, mon père, mon oncle et tous ses fils, excepté un seul, périrent en combattant les Romains ; ma mère et ma sœur furent brûlées par les soldats dans une maison de bois ; mes trois frères sont tombés ici dans l’amphithéâtre : l’un a été livré aux bêtes, et le peuple a forcé les deux autres à se combattre jusqu’à la mort. Moi, on m’a vendue à ton père. Quand je me rappelle le jour où j’entrai pour la première fois dans cette habitation, j’en frémis encore d’horreur, et je me jette à genoux pour prier Dieu de calmer les mouvemens terribles qui s’élèvent dans mon ame. Le Barbare, que vous méprisez, aime plus fortement que vous peut-être sa race et sa famille, et moi j’avais perdu la mienne en un jour. Je voulus m’étrangler avec ma ceinture ; on m’attacha les mains. Je résolus de refuser tout aliment et de mourir ainsi. Quand on approchait un breuvage de ma bouche, je grinçais des dents, je les serrais avec force, et rien ne pouvait les desserrer. C’est alors que ma mère Priscilla m’apporta la sainte parole, et depuis ce temps j’ai supporté mes fers dans un esprit de paix et même de joie. Par momens, la pensée de mes forêts natales me revient et me fait tressaillir ; je me vois libre et bondissant sous leur ombrage ; mon père m’apparaît au milieu de ses guerriers, m’élevant dans ses bras sanglans et me serrant sur sa forte poitrine, comme il avait coutume de le faire dans mon enfance ; d’autres fois, je vois ma mère et ma sœur se tordant au milieu des flammes ou mes frères s’égorgeant dans l’amphithéâtre. Alors je sens se remuer