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verdict. Lord Derby et M. Disraeli ont voulu en appeler à la nation; ils ont prétendu qu’elle n’avait point voulu les réformes accomplies depuis six ans déjà : la nation a répondu et a prononcé cette fois en dernier ressort, froidement et avec calme, comme quelqu’un fatigué de s’entendre dire qu’il ne croit pas sincèrement aux choses qu’il fait profession de croire. Nous n’entendrons plus parler de protection, ni remettre en question la politique de sir Robert Peel. La protection est morte, et entraine après elle le torysme romantique que nous avons connu dans ces dernières années. C’en est fait pour jamais de toutes ces réactions archaïques, de toutes ces fantaisies d’érudition si dangereuses quand elles prétendent gouverner le présent. Lord Derby et M. Disraeli ont cru à une opinion extrêmement erronée en politique comme partout ailleurs : ils ont cru que leur pays, parce qu’il était mécontent, avait regret de ce qu’il avait fait, ils ont cru que le présent rougissait de lui-même, et regrettait le passé, parce qu’il redoutait l’avenir; mais les nations, sous ce rapport, n’ont pas de conscience : elles ne se repentent jamais; qu’elles commettent des fautes ou des crimes, elles ne consentent jamais à revenir au passé, elles ne s’avouent jamais coupables. Telle est la vérité politique que nous. Français, nous connaissons trop par expérience, et que lord Derby a pu apprendre ces jours-ci.

Devant ces élections toutes libérales, le cabinet peut-il se maintenir? et après sa chute, quelle administration peut lui succéder? Cette double question mérite quelque examen. Trois partis, les whigs, les radicaux, les conservateurs libéraux, coalisés pour résister au retour de la protection, se présentent pour remplacer le ministère actuel. Aucun d’entre eux ne peut former une majorité, aucun d’entre eux même ne pourrait en trouver une dans le pays, s’il lui faisait appel en son nom. Il faut donc que l’un au moins de ces partis fasse abnégation de lui-même et consente à s’unir au plus fort et au plus nombreux, et que le troisième se résigne et garantisse la neutralité aux deux autres. Trois combinaisons sont possibles : une combinaison whig et radicale avec lord John Russell et M. Cobden, une combinaison whig et conservatrice avec lord John Russell et sir James Graham, une combinaison radicale et conservatrice avec sir James Graham et M. Cobden. Lequel de ces partis consentira à se placer sous la domination de l’autre et à être absorbé par lui? Il nous revient à la pensée deux vers de La Fontaine qui expriment très bien la cause des difficultés que rencontreront très prochainement les partis politiques anglais: leur sens est celui-ci : « Il ne faut pas se lier aux coalitions entreprises pour résister à un ennemi commun; le danger passé, les haines reparaissent plus ardentes que jamais. » Sir James Graham, lord John Russell, M. Cobden, unis temporairement sur cette question du libre échange, consentiront-ils à former jamais une administration et à faire de leur phalanges respectives un parti compacte et uni? Nous croyons qu’il est bien tard. Une union pareille pouvait se faire pour empêcher l’avènement du ministère Derby; mais, après l’avènement de ce ministère, après sa chute, comment pourra-t-elle jamais s’accomplir? Tant que les partis ont pu craindre pour le free trade, cette fusion de tous les élémens libéraux était facile; mais, lorsque le free trade est hors de cause, est-elle possible? Lord Derby tombé, la nécessité de résistance commence, et le moment où les partis opposans seront appelés à former une administration sera celui où ils n’auront plus aucun intérêt commun. Évidemment sir James