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l’égalité des destinées éternelles, le spiritualisme de la nature et de l’homme, du monde humain et du monde des élémens,... de la terre, de l’océan, de l’art, de la peinture, de la musique, de la poésie, de l’amitié, de la famille, de l’amour et de la religion, etc. » L’énumération est complète, il n’y manque que le bon sens pour passer en revue cette étrange armée de mots sonores. L’auteur a bien, à coup sûr, la faculté de se comprendre lui-même, mais on peut douter qu’il en abuse. Un des moins prétentieux de ces jeunes poètes, qu’on appelait autrefois tout près de nous des poetœ minores, et pour lesquels il faudrait aujourd’hui trouver un nouveau diminutif, c’est l’auteur d’un petit volume sous le simple titre de Poésies, M. Alfred Lemoine. Il y a quelque jeunesse, quelque grâce, quelque abandon dans les vers de M. Lemoine, bien que sans une grande originalité. L’auteur conserve du moins une certaine souplesse, une certaine vivacité poétique. Plus on parcourt dans leur ensemble tous ces petits vers contemporains, plus on y retrouve ce qui les distingue invariablement : une profonde indigence d’idées et d’impressions poétiques cachée sous des ambitions de langage et des lieux communs d’une rhétorique équivoque. — pourquoi donc en parler? dira-t-on. — Parce qu’ils sont un symptôme de cet affaiblissement de l’esprit littéraire dont nous parlions; ils montrent le dernier déclin d’un mouvement poétique que rien n’est venu renouveler; ils offrent le spectacle le plus triste et le plus instructif de tous, — celui de l’impuissance dans la jeunesse; ils représentent enfin à tous les esprits réfléchis, à tous ceux qui nourrissent l’amour des lettres, aux gouvernemens, au public comme aux écrivains, la nécessité plus que jamais palpable de remonter aux grandes sources de la pensée, de se retremper dans la méditation et dans l’étude, de ressaisir, s’il se peut, quelque chose de l’intelligence française si singulièrement abêtie, et de rétablir une discipline sévère dans les choses littéraires. C’est ainsi que ces petits vers nous ramènent à ces grands intérêts intellectuels, moraux, politiques, qui constituent la civilisation de notre pays, et dont les désastres sont aujourd’hui un des élémens de notre situation même. Au fait, ce n’est point le propre de tous les pays de soulever de telles questions. Cela vient de ce que l’intelligence est le secret de l’ascendant de la France, et cet ascendant est comme le ressort de la civilisation universelle. C’est par l’intelligence que la France exerce encore son action autour d’elle, même sur les pays avec lesquels elle n’est plus liée par la solidarité des institutions politiques, et qui ont aussi leurs mouvemens et leurs incidens propres. Nous touchons ici à l’histoire extérieure.

Les élections récemment faites en Belgique portent leurs fruits. Le cabinet de Bruxelles vient de donner sa démission, qui a été transmise au roi à Wiesbaden, où il se trouve encore. Cette démission est-elle très sérieuse et très sincère? Elle a ce caractère évidemment pour quelques membres du cabinet, notamment pour le ministre des finances, M. Frère-Orban, lequel paraît de moins en moins se soucier de risquer sa fortune politique dans une situation compromise; elle est également sérieuse de la part du ministre de la justice, M. Tesch, atteint dans sa santé et frappé par des douleurs de famille. Quant au reste du ministère, qui se résume dans M. Rogier, il est impossible, surtout au moment où survient cette résolution, de ne point remarquer quelques circonstances particulières. Comment se fait-il que la démission du cabinet belge,