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la propagation du journal officiel. Ce qui a toujours empêché le Moniteur de s’étendre au-delà d’une certaine limite, c’est sans doute son prix élevé; mais il y a aussi une autre raison que le gouvernement a dû s’avouer sans nul doute, — c’est l’ennui, pour l’appeler par son nom. Le Moniteur, il faut bien le dire, est d’une lecture peu récréative de sa nature. Si la transformation actuelle n’avait pour résultat que d’offrir de l’ennui à prix réduit, cela n’avancerait point à grand’chose. S’il y ajoutait de la littérature, ce serait peut-être encore de la littérature officielle, qui n’est point toujours la meilleure, comme on sait, et, si elle n’était point officielle, c’est le caractère du journal qui pourrait bien s’en trouver altéré. Où donc serait le véritable élément d’intérêt pour le Moniteur? Ne serait-ce point dans ces publications comme celle dont parle le décret sur la statistique? Le gouvernement laisse dans l’obscurité des documens de toute sorte; il garde enfouis dans la poussière de ses archives les rapports de ses agens diplomatiques sur les pays étrangers, sur ces contrées lointaines vers lesquelles s’envole aujourd’hui l’attention publique. Combien pourraient être mis au jour sans inconvéniens! N’y aurait-il pas là des sources particulières d’intérêt? Et qu’où le remarque, en multipliant ces documens et ces relations, qui pourraient offrir des sujets d’études, des alimens précieux, le gouvernement servirait peut-être mieux les esprits qu’en leur demandant une littérature douteuse, dût-il même les aider à poursuivre ces sérieux travaux. Il serait dans son rôle, non de directeur des intelligences, ce qui est une entreprise sujette à déceptions, mais de protecteur, — comme il se prépare à l’être, assure-t-on, dans un autre ordre d’idées. Des conventions, nous l’avons dit, ont été signées avec divers pays, le Piémont, l’Angleterre, le Hanovre, le Portugal, la Hollande, pour garantir la propriété littéraire; mais ces conventions ne sont rien, si elles ne sont point exécutées : le gouvernement paraît se préoccuper de l’idée de créer un office spécial pour en surveiller l’exécution au dehors. C’est ainsi qu’il peut exercer cette haute et efficace protection des intérêts littéraires.

Il ne faut point aller d’ailleurs au-delà de ce que nous voulons dire. Ceci est en quelque sorte le côté matériel. Au point de vue moral, il y a bien autre chose à faire dans le domaine de la pensée; mais malheureusement les directions n’y peuvent rien. Il y a un puissant et généreux effort à tenter pour secouer cet abattement où sont tombés les esprits. Cette stagnation que nous pouvions signaler en politique, elle s’étend aussi aujourd’hui visiblement aux choses de l’intelligence. Ce qui manque dans la littérature, c’est la vie, c’est l’inspiration, c’est cette palpitation intime et mystérieuse qui anime le travail intellectuel; c’est aussi cet instinct moral, cette impulsion de la conscience qui est la règle de l’esprit. Comment la vie a-t-elle tari? comment peut-elle renaître? Ce serait peut-être trop long à dire. Il y a un phénomène étrange qui rend plus palpable cette stagnation dont nous parlons, c’est que les talens qui s’en vont ne sont point remplacés par de nouveaux talens. Aussi s’attache-t-il une sorte de mélancolie indéfinissable à la disparition de certains esprits d’une supériorité charmante comme Xavier de Maistre, qui vient de mourir à Saint-Pétersbourg. Xavier de Maistre, on le sait, était le frère de l’auteur du Pape, et c’est assurément une chose à remarquer que d’une même souche se soient élevées deux branches si différentes. Les deux frères d’ailleurs