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Un bel esprit du temps, dont le nom nous est inconnu, composa en cette occasion une nouvelle, où, sous des noms supposés, et mêlant le faux au vrai, il raconte la touchante aventure qui occupait alors tout Paris. Nous avons découvert cette nouvelle inédite du milieu du XVIIe siècle à la bibliothèque de l’Arsenal et à la Bibliothèque[1] nationale. Elle a pour titre : Histoire d’Agésilan et d’Isménie, c’est-à-dire histoire de Coligny et de Mme de Longueville. Elle a l’avantage d’être fort courte. Nous n’osons pourtant la donner tout entière, et nous nous bornerons à faire connaître rapidement ce petit monument de la célébrité naissante de Mme de Longueville.

Bien entendu, Isménie aime le plus tendrement du monde Agésilan, et elle l’aimait avant d’avoir été mariée à Amilcar, le duc de Longueville, par l’ordre de son père et de sa mère, Antenor et Simiane, M. le Prince et Mme la Princesse. Isménie a pour ennemie Roxane, Mme de Montbazon, jalouse de sa beauté, et ici viennent deux portraits d’Isménie et de Roxane, qui sont d’une exactitude tout-à-fait historique. « Roxane étoit piquée des louanges qu’on donnoit à Isménie de sa beauté, qui véritablement estoit des plus grandes. Ses cheveux d’un blond cendré, ses yeux bleus, la blancheur de son teint et sa taille estoient incomparables; son esprit doux, insinuant, parlant agréablement sur toutes sortes de sujets, lui donnoit l’approbation de tout le monde. Roxane, qui a une beauté et une humeur différente, n’avoit pas des approbateurs sur sa grâce en si grand nombre qu’Isménie, bien que sur la beauté les esprits fussent partagés. Ses cheveux étoient bruns sur un teint blanc et uni; ses yeux noirs et bien fendus, d’où il sortoit un feu à pénétrer jusque dans les cœurs les plus insensibles; sa mine, haute et fière, la faisoit plutôt craindre qu’aimer; son esprit étoit cruel, plein de violence. Il ne falloit pas se partager avec elle. »

Voici une conversation des deux amans moins longue, grâce à Dieu, que celles de l’Astrée et du grand Cyrus, mais qui a leur agréable fadeur, leur sentimentale mélancolie : «Pensive à son malheur, Isménie se promenoit le long d’un ruisseau qui arrose le bois de Mirabelle (Chantilly). Elle vit tout d’un coup sortir un homme de l’épaisseur du bois, et, pâle et défait, se jeter à ses genoux. Elle connut d’abord que c’étoit Agésilan qui lui dit: Quoi! ma princesse, m’abandonnerez-vous après tant de promesses de votre fermeté? En refusant le parti

  1. Bibliothèque de l’Arsenal, petit in-4o, côté sur le dos « Fr. Jurisprudence. 19 (B). » Il contient : 1° Avis donné au roy pour la réforme des abbayes et prieurés en commande; 2° Fable du lion et du renard; 3° Histoire de M. de Coligny et de Mme de Longueville. — Bibliothèque nationale, fonds Clérambault, Mélanges, vol. 261, in-12, comprenant une foule de chansons, les lettres de Mme de Gourcelles, des lettres de diverses dames à Fouquet, et au milieu l’histoire d’Agésilan et d’Isménie. En comparant les deux manuscrits, nous y avons rencontré une foule de petites variantes de style parfaitement indifférentes.