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scène une grandeur inattendue, fait comparaître à la Place-Royale et met aux prises une dernière fois les deux plus illustres combattans des guerres de la Ligue dans la personne de leurs descendans. En mettant l’épée à la main, Guise dit à Coligny : « Nous allons décider les anciennes querelles de nos deux maisons, et on verra quelle différence il faut mettre entre le sang de Guise et celui de Coligny. » Coligny porta à son adversaire une large estocade, dit le journal de d’Ormesson[1]; mais, faible comme il était, le pied de derrière lui manqua, et il tomba sur le genou. Guise alors passa sur lui et mit le pied sur son épée. Coligny, désarmé, ne voulut pas demander la vie. Guise lui aurait dit[2] : « Je ne veux pas vous tuer, mais vous traiter comme vous méritez, pour vous être adressé à un prince de ma naissance, sans vous en avoir donné sujet, » et il le frappa du plat de son épée[3]. Coligny, indigné, ramasse ses forces, se rejette en arrière, dégage son épée et recommence la lutte[4]. Dans cette seconde rencontre. Guise fut blessé légèrement à l’épaule[5] et Coligny à la main; mais Guise, passant une seconde fois sur Coligny, se saisit de son épée, dont il eut la main un peu coupée, et, en la lui enlevant, lui porta un grand coup dans le bras qui le mit hors de combat. Pendant ce temps, d’Estrades et Bridieu s’étaient blessés grièvement[6].

Telle fut l’issue de ce duel, le dernier, je crois, des duels célèbres de la Place-Royale. Il fit dans Paris, dit Maupassant, un fracas terrible. L’affaire fut déférée au parlement, mais les poursuites de la justice s’arrêtèrent devant le crédit de Condé, et surtout devant[7] l’état déplorable où l’on sut bientôt qu’était Coligny, le principal coupable, puisqu’il avait été le provocateur. La preuve que Coligny était d’intelligence avec Condé, c’est qu’il trouva un asile dans sa maison de Saint-Maur. Là, il languit quelque temps[8] et mourut de sa honte

  1. Fol. 28, verso.
  2. D’Ormesson.
  3. D’Ormesson, Maupassant et La Rochefoucauld.
  4. D’Ormesson.
  5. Salon d’Ormesson; Maupassant dit au côté droit.
  6. D’Ormesson, Maupassant, La Rochefoucauld, Motteville.
  7. Maupassant dit que le duc de Guise et Coligny comparurent au parlement et se justifièrent, le duc de Guise avec le plus grand succès, et Coligny de très mauvaise grâce; mais d’Ormesson, si bien informé de tout ce qui se passa de son temps au conseil d’état et au parlement, n’a pas un seul mot là-dessus, et rien n’est plus invraisemblable, Coligny étant promptement tombé dans un état désespéré.
  8. La Rochefoucauld dit que Coligny mourut quatre ou cinq mois après; il faut dire quatre ou cinq jours. Voici en effet ce que nous trouvons dans le journal d’Olivier d’Ormesson, fol. 29 : « Le mardi 29 décembre me vint voir le marquis de Pardaillan et me dit que M. de Colligny estoit à Saint-Maur, et avoit pensé mourir de la gangrène qui s’étoit mise à son bras. » — « Le mercredi 30 décembre (d’Ormesson a mis par erreur janvier), « M. de Colligny estoit hors d’espérance, sa plaie ne faisant ni chair ni pus, à cause de sa mauvaise constitution naturelle. M. le duc d’Anguien y estoit allé pour le résoudre à avoir le bras coupé. »