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la faveur d’un autre intendant que celui auprès duquel tu peux me protéger, de l’intendant céleste.

— Bizarre jeune fille qui prononces des paroles dont l’austérité conviendrait a un stoïcien avec des lèvres dignes d’Aphrodite ! Mais, par Hercule ! tu me plais en parlant de la sorte, comme tu me plaisais hier quand, en présence du châtiment, tu as refusé de nommer le grave pédagogue que je connais maintenant, car sa vanité m’a bientôt confirmé sans le vouloir ce qu’un coup d’œil jeté sur son air embarrassé m’avait d’abord fait soupçonner. Ainsi le sage rhéteur a trouvé moyen de s’entretenir avec sa belle écolière, jaloux de t’enseigner les lettres comme Orphée instruisait, dit-on, dans l’art de jouer de la lyre sa chère Eurydice.

— Maître, je ne nierai point ce que t’a confié le seigneur Capito ; oui, c’est grâce à lui que je peux lire la parole de Dieu, et, quand ce bienfait aurait attiré sur moi des châtimens mille fois plus cruels que ceux dont j’étais hier menacée, je bénirais encore la main à laquelle je le dois, et je continuerais, si on me laissait une langue pour prier, de demander à Dieu, comme je le fais jour et nuit avec ferveur, qu’il détourne des voies de la fausse sagesse celui qui y est engagé, afin que la lumière qu’il m’a transmise, hélas ! sans la voir, éclaire un jour ses ténèbres.

— Charitable et inutile vœu ! Mon oncle renoncerait plutôt à la vie qu’à sa muse ; mais, belle captive, si un maître plus jeune et peut-être plus aimable que le docte Capito s’offrait pour l’instruire !… s’il te faisait lire, non pas les insipides compositions des rhéteurs, mais les divins chefs-d’œuvre de l’âge d’or de la poésie romaine, peut-être trouverais-tu plus de charme à ses leçons ? Tu ne sais pas les délices qui attendent ton ame ingénue, quand elle s’attendrira sur les malheurs de Didon que des saints mêmes ont pleurés, quand elle s’enchantera aux accens gracieux d’Ovide ou d’Horace célébrant Corine ou Lalagé, de Tibulle soupirant les charmes de sa Délie ! C’étaient de belles jeunes filles comme toi ; quelques-unes avaient été esclaves comme toi, mais la main d’un maître amoureux avait brisé leurs fers.

En prononçant ces mots, que l’entraînement rapide de la passion avait appelés comme malgré lui sur ses lèvres, Lucius s’arrêta, cherchant dans les yeux d’Hilda l’impression qu’elle avait ressentie. Une rougeur légère avait passé sur son front, qui avait bientôt repris toute sa sérénité. Ses yeux, baissés un moment, s’étaient relevés, et, regardant Lucius avec candeur, elle lui dit d’une voix ferme, comme elle eût dit au temps des persécutions devant le juge qui l’aurait engagée à sacrifier aux faux dieux : « Je suis chrétienne. »

— Je le sais, dit Lucius, et moi aussi je suis chrétien. Qui croit encore au vieil Olympe ? qui a peur des foudres éteintes de Jupiter ou du