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à l’aide de sa beauté qu’elle poursuivait l’influence et la fortune. Elle en prenait donc un soin infini, et comme de son idole et comme de sa ressource et de son trésor. Elle l’entretenait et la relevait par toutes sortes d’artifices, et elle la conserva presque entière jusqu’à sa mort. Mme de Motteville assure que dans ses dernières années elle était « aussi enchantée de la vanité que si elle n’avoit eu que vingt-cinq ans[1] ; » qu’elle avait le même désir de plaire, et qu’elle portait son deuil avec tant d’agrément que « l’ordre de la nature se trouvoit changé, puisque beaucoup d’années et de beauté se pouvoient rencontrer ensemble. » Dix ans auparavant, en 1647, à trente-cinq ans, lorsque Mazarin donna une comédie à machines et en musique, à la mode d’Italie, c’est-à-dire un opéra, le soir il y eut un grand bal, et la duchesse de Montbazon y parut parée de perles et avec une plume rouge sur la tête, dans un tel éclat qu’elle ravit toute l’assemblée, « montrant par là que des beaux l’arrière-saison est toujours belle[2]. » On peut penser ce qu’elle était en 1643, à trente et un ans.

Des deux conditions de la beauté parfaite, la force et la grâce[3]. Mme de Montbazon possédait la première au suprême degré ; mais cette qualité étant presque seule ou tout-à-fait dominante laissait quelque chose à désirer, c’est-à-dire précisément ce qui fait le charme de la beauté. Elle était grande et majestueuse, même à ce point que Tallemant, qui exagère toujours et ment rarement, dit : « C’étoit un colosse[4]. » Elle possédait tout le luxe des attraits de l’embonpoint. Sa gorge rappelait celle des statues antiques, avec un peu d’excès peut-être. Ce qui frappait le plus en sa figure était des yeux et des cheveux très noirs sur un fond d’une éblouissante blancheur. Le défaut était un nez un peu fort, avec une bouche trop enfoncée qui donnait à son visage une apparence de dureté[5]. On voit que c’était juste l’opposé de Mme de Longueville. Celle-ci était grande et ne l’était pas trop. La richesse de sa taille n’ôtait rien à sa délicatesse. Un embonpoint tempéré laissait déjà paraître et retenait encore dans une mesure exquise la beauté des formes de la femme. Ses yeux étaient du bleu le plus doux : son abondante chevelure du plus beau blond cendré. Elle

  1. Mme de Motteville, t. V, p. 246.
  2. Mme de Motteville, t. Ier, p. 410.
  3. Voyez la théorie exposée dans cette Revue l’année dernière, 1er août 1851.
  4. T. III, p. 410.
  5. Sur la beauté de Mme de Montbazon, nous avons uni ce que disent Tallemant, t. III, p. 411, et Mme de Motteville, t. Ier, p, 146. Le lecteur peut juger de la vérité de notre description en allant voir à Versailles, dans la curieuse galerie de l’attique du nord, sous le no 2030, un petit tableau où Mme de Montbazon est représentée en buste, vers l’âge de trente-cinq à quarante ans, avec un collier de perles, un beau front très découvert, de beaux yeux noirs, une gorge magnifique, mais le tout un peu fort et sans beaucoup de distinction.