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elle était glorieuse et un peu coquette. Cependant, comme elle n’aimait pas son mari, sa douceur, aisément soutenue par son indifférence, la sauva de l’irritation. Seulement elle se crut autorisée à se laisser adorer en toute sécurité de conscience, et elle continua de vivre à l’hôtel de Longueville, comme elle le faisait à l’hôtel de Condé, avec la même cour de jeunes et gracieuses amies, de jeunes et brillans cavaliers[1].

Les fêtes du mariage étaient à peine terminées, que Mme de Longueville fit une petite maladie. La petite vérole, alors si redoutée, qui l’avait chassée de Chantilly, et contre laquelle elle avait fait à Liancourt des vers assez médiocres[2], l’atteignit dans l’automne de 1642, et mit en péril le charmant visage. Tout Rambouillet s’émut. La marquise de Sablé, trop fidèle à cette peur de la contagion, qui a été le ridicule de sa vie, ne put obtenir d’elle-même, malgré la tendresse la plus sincère, de soigner l’intéressante malade; mais Mlle de Rambouillet ne l’abandonna point[3], et ce fut une sorte de joie publique lorsqu’on apprit que Mme de Longueville avait été épargnée, et que, si elle avait perdu la première fraîcheur de sa beauté, elle en avait conservé tout l’éclat.

  1. L’hôtel des ducs de Longueville n’est pas du tout celui qu’après la mort de son mari Mme de Longueville acheta des d’Épernon, rue Saint-Thomas-du-Louvre, à côté de l’hôtel de Rambouillet, où elle a résidé avec ses enfans, et qui a porté son nom depuis 1664 jusqu’à la fin du XVIIe siècle. La demeure des Longueville était l’ancien hôtel d’Alençon (voyez Sauval, t. II, p. 65 et 70, surtout p. 119). Il était situé rue des Poulies, parmi les riches hôtels qui bordaient le côté droit de cette rue depuis la rue Saint-Honoré jusqu’à la Seine, et qui, avec leurs dépendances et leurs jardins, s’étendaient jusqu’au Louvre. Il était à peu près vis-à-vis la rue des Fossés-Saint-Germain-l’Auxerrois. Il avait à sa droite, vers la Seine, le Petit-Bourbon, qui, après avoir servi de demeure et de place forte dans Paris aux aînés de la maison de Bourbon, était devenu un bâtiment royal, une sorte d’appendice du Louvre, où le jeune roi Louis XIV donna plusieurs fois de grands bals, et dont la salle de théâtre fut prêtée à Molière pour y jouer quelque temps la comédie à son arrivée à Paris. A gauche, sur la même ligne, après l’hôtel de Longueville, venaient les hôtels de Villequier et d’Aumont, et, un peu plus rapprochés de l’église et de la maison de l’Oratoire, les hôtels de la Force et de Créqui. Quand donc, en 1663, Louis XIV, entré en pleine possession de l’autorité royale et voulant signaler son règne par de grands monumens, entreprit d’achever le Louvre et de lui donner une façade digne du reste de l’édifice, il lui fallut abattre, avec le Petit-Bourbon, une partie des hôtels de la rue des poulies, entre autres celui de Longueville. C’était le plus ancien et le plus considérable. Il se composait d’un grand bâtiment d’entrée, d’une vaste cour, de l’hôtel proprement dit et d’immenses jardins. Ceux de nos lecteurs qui désireraient s’assurer de l’exactitude de ces détails n’ont qu’à jeter les yeux sur l’excellent plan de Gomboust, qui représente admirablement le Paris du XVIIe siècle, en 1652.
  2. Voyez notre dernier article, livraison du 15 juin, p. 1044-1047.
  3. Il est vraiment inconcevable qu’une femme d’autant d’esprit que Mme de Sablé ait poussé la peur de la maladie et de la contagion aussi loin que le témoignent tous les auteurs contemporains, Voiture, Tallemant, Mademoiselle, etc. Sa faiblesse en cette occasion et la fidélité de Mlle de Rambouillet nous sont attestées par plusieurs lettes inédites de ces deux dames, que nous trouvons à la bibliothèque de l’Arsenal dans les papiers de Conrart, in-4o, t. XIV.