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protecteur des faibles et des petits bénira les efforts de l’esclave, car tout est possible à celui qui a converti le monde par la voix des publicains, des pêcheurs et des mariniers !

En achevant ces paroles, Priscilla crut entendre quelque bruit parmi les arbres ; elle serra tendrement Hilda sur son cœur, et se retira, craignant d’être aperçue, comme on fait après un larcin. Hilda sortit du bois et s’avança vers la bergerie.


IV.


Au moment où Priscilla s’éloignait, Lucius s’avançait d’un autre côté. La journée de la veille avait été employée par lui à parcourir en détail avec son père toutes les parties de la villa. Capito lui avait fait les honneurs de la bibliothèque, plus fournie de livres profanes que d’ouvrages chrétiens ; il avait ensuite fait admirer à Lucius les statues et les tableaux de la galerie, se gardant, comme on peut le croire, de lui épargner aucune des pièces de vers qu’il avait composées sur tous les objets d’art qu’elle renfermait. Lucius avait suivi nonchalamment Capito de chef-d’œuvre en chef-d’œuvre, prêtant une oreille distraite aux explications et aux vers. Le commencement de la matinée occupait désagréablement la pensée du jeune Romain ; il croyait voir encore l’air dur de son père lui refusant la grâce d’Hilda, la terreur et la soumission abjecte des esclaves, la figure hideuse de Bléda, qui, lorsqu’il avait été entraîné à la meule au milieu des rires stupides de ses compagnons d’infortune, avait jeté à Lucius un regard de haine et de vengeance, et ces images l’importunaient. Accoutumé à ne songer qu’à ses plaisirs, il se trouvait avec ennui jeté dans un monde moins riant ; il lui semblait que les heures folâtres et insouciantes de la jeunesse étaient passées, que les soucis de l’âge mûr et les occupations sévères de la famille l’attendaient. Pour écarter ces impressions pénibles, Lucius appelait à lui l’image de la jeune Barbare telle qu’il l’avait vue sous le portique, blanche, immobile, ses grands yeux bleus levés vers le ciel dans un ravissement paisible.

Ainsi que beaucoup d’hommes de son temps, Lucius alliait à son scepticisme épicurien un penchant bizarre à la superstition et à l’extase. Il avait été comme fasciné par l’expression inspirée d’Hilda ; de vagues idées de philtre et d’enchantement traversaient son esprit ardent et malade ; elles avaient obsédé sa rêverie du soir et ses songes de la nuit ; c’était sous leur empire qu’il avait quitté de bonne heure sa couche de pourpre, et que, marchant au hasard, il s’était avancé vers le bois sacré.

En apercevant la chapelle qui s’élevait à son entrée, en reconnaissant ce qui, dans son enfance, était encore un temple des nymphes,