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créateur du Parthénon, c’est-à-dire le type le plus élevé de l’artiste grec, on demeure confondu. Phidias, dont les deux plus beaux ouvrages nous ont été enviés par le temps, que nous connaissons cependant par des ruines précieuses, et qu’il nous est donné d’estimer sans témérité, Phidias, dans l’histoire grecque, se place entre Apelles et Polygnote, et Pradier lui a prêté les traits d’un praticien. Il est impossible de deviner sur son visage l’élévation habituelle de sa pensée. Vainement Plutarque et Pausanias nous ont dit que Phidias avait conversé avec les dieux : Pradier ne tient aucun compte de ce double témoignage, il ne voit dans le créateur du Parthénon qu’un ouvrier solidement bâti, qui d’une main puissante équarrit le Paros. La draperie est rendue avec une grande souplesse, et je la louerais sans restriction. s’il ne s’agissait pas de Phidias. Je la trouve mesquine, malgré sa souplesse, quand je songe que j’ai devant moi l’immortel statuaire à qui nous devons Cérès, Proserpine, les Parques, Thésée, l’Ilissus et les Chevaux d’Hypérion. Un homme qui vivait dans le commerce familier d’Homère, dont la pensée habitait l’Olympe, devait garder dans la manière même d’ajuster son manteau une grâce et une majesté dont Pradier n’a pas tenu compte. Ainsi le Phidias placé aux Tuileries n’est pas pour moi une œuvre complète. Nulle part l’auteur n’a montré sous une forme plus éclatante toute l’étendue, toute la variété de son savoir, mais nulle part non plus il n’a révélé d’une façon plus précise toute l’insuffisance de sa pensée. Quand il s’agit de représenter Homère, Sophocle ou Phidias, le talent d’exécution ne suffit pas : il faut quelque chose de plus. La réflexion est de première nécessité, et l’artiste le plus habile, s’il traite la réflexion avec dédain, ne réussira jamais à exprimer dignement le génie de ces trois hommes privilégiés. Le Phidias de Pradier, brisé, enfoui à vingt pieds sous terre, retrouvé après cinquante ans d’oubli, exciterait, je n’en doute pas, l’admiration unanime de tous les connaisseurs; mais, si par malheur la tête n’était pas perdue, leur admiration s’attiédirait bien vite, car autant le torse et les membres sont traités avec soin, autant la tête est vulgaire et indigne du personnage. Je me souviens d’avoir vu dans l’atelier de Pradier, à l’Institut, un peintre éminent dont le goût sévère est justement révéré. Il regardait le modèle en terre du Phidias, et Pradier attendait son jugement. Après une demi-heure de contemplation, le peintre se leva sans dire mot : il ne voulait pas blâmer et n’osait applaudir. Tous ceux qui ont étudié Phidias comprendront son silence.

La Sapho exposée cette année au Palais-Royal est la dernière œuvre de Pradier. Malgré le crêpe qui la recouvre depuis la mort de l’auteur, je ne saurais l’accepter comme une œuvre antique. Ce n’était pas la première fois que Pradier essayait de représenter l’amoureuse Lesbienne. Deux fois déjà il avait tenté cette tâche épineuse. Nous avons