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menaient à la forme. Malheureusement, à peine arrivé en Italie, Pradier oubliait la lecture des poètes pour se livrer tout entier à la pratique de son art; à peine si, vers la fin de la journée, il feuilletait encore d’une main distraite les pages qui l’avaient enivré pendant les premières années de sa jeunesse. Il copiait avidement, et souvent avec un rare bonheur, tout ce qu’il voyait; mais sa prédilection l’entraînait plutôt vers les œuvres sorties de la main de l’homme que vers les œuvres créées par la main de Dieu. Il étudiait plus volontiers les statues et les bas-reliefs que le modèle vivant. Il s’attachait à graver dans sa mémoire les lignes choisies par les artistes d’Athènes et de Rome, et ne songeait pas à se demander la raison de leur choix. Quant à la nature, s’il lui arrivait de la consulter, c’était plutôt pour l’exécution d’un morceau que pour l’expression d’un sentiment. En un mot, il est permis d’affirmer que de vingt-trois à vingt-huit ans, c’est-à-dire avant de soumettre ses œuvres au jugement de la foule, Pradier a mis la partie plastique de son art bien au-dessus de la partie intellectuelle. Son espérance, son ambition n’était pas de traduire sous une forme élégante une pensée personnelle, d’offrir aux yeux quelque chose de nouveau, une œuvre originale qui ne réveillât aucun souvenir : plus modeste dans ses prétentions, il se contentait déjà de combiner avec adresse, de réunir, en les transformant légèrement, les différens mérites qui recommandent les statues placées au Vatican. C’était renoncer de bien bonne heure à la moitié de la tâche. D’ordinaire les jeunes artistes rêvent des œuvres complètes, et, s’il ne leur est pas donné de les accomplir, le seul souvenir de leurs espérances, de leurs aspirations, suffit parfois pour les maintenir dans une région supérieure. S’ils ne peuvent pas faire tout ce qu’ils ont voulu, tout ce qu’ils ont tenté, la grandeur seule du but qu’ils ont entrevu nourrit dans leur esprit une activité féconde. L’espérance est le privilège de la jeunesse, et lorsque les années, en s’accumulant, nous conseillent de chercher plus près de nous l’objet de nos vœux, c’est encore le souvenir de l’espérance à laquelle nous avons renoncé qui soutient, qui renouvelle notre énergie.

Pradier semble avoir échappé à la loi commune : son esprit ne paraît pas avoir connu la jeunesse. De 1813 à 1818, il était ce que nous l’avons vu de 1830 à 1852; pensionnaire de l’école de Rome, il ne portait pas plus haut son ambition que dans la pleine maturité de son talent. De quarante à soixante-deux ans, il voulait ce qu’il avait voulu de vingt-trois ans à vingt-huit ans, rien de plus, rien de moins. Les années n’avaient pas attiédi son ardeur, car, pour me servir d’une expression vulgaire, il n’avait jamais été possédé du démon de son art. il faisait mieux, plus habilement, plus sûrement, plus rapidement ce qu’il voulait faire; mais la pratique assidue de sa profession n’avait ni