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civilisations, même les plus libérales. La race anglo-saxonne se retrouve là dans son état primitif et avec son énergie originelle. Pour s’en convaincre, il suffit d’interroger successivement, comme nous voudrions le faire ici, les instincts et les mœurs de la société américaine.


I. — RAPPORTS DE L’ANGLETERRE ET DE L’AMÉRIQUE.

Les affinités nombreuses qui existent entre les deux branches principales de la race anglo-saxonne n’ont point encore été peut-être assez remarquées. Il est aisé de démontrer qu’en Angleterre comme aux États-Unis, la société repose sur les mêmes données morales, sur les mêmes principes appliqués d’une manière différente, mais non pas si différente au fond qu’on pourrait le croire au premier abord. Aucun publiciste n’a encore indiqué profondément, à notre avis, la différence qui sépare ces deux nations de toutes les nations du monde. Dans un écrit publié récemment, M. le comte de Fiquelmont, cherchant à donner des motifs à sa haine de l’Angleterre, a mis le doigt sur le caractère véritable de ce pays en l’accusant d’être en contradiction avec tous les autres peuples, et d’avoir poussé à la république tandis que les autres nations poussaient à la monarchie. Jamais observation plus profonde n’a été faite sur la politique de l’Angleterre. — Le monde aujourd’hui, écrivent ou plutôt écrivaient chaque jour nos révolutionnaires, marche vers la démocratie. — Rien n’est plus vrai; mais comment y marche-t-il ? Il y marche par deux systèmes qui sont aussi différens l’un de l’autre que le pouvoir absolu d’un seul l’est du pouvoir absolu du plus grand nombre. L’Angleterre et je ne craindrais pas de dire l’Amérique marchent à la démocratie par la liberté et l’individualisme; les nations continentales marchent à la démocratie par l’égalité et la monarchie. Les deux traditions nettement tranchées sont en présence l’une de l’autre et se disputent l’empire.

On étonnerait peut-être nos radicaux en leur disant que l’empereur de Russie représente la démocratie comme toutes les constituantes du monde ne la représenteront jamais, et pourtant rien n’est plus vrai. Ce qui se passe chez nous a pu dessiller leurs yeux et leur apprendre où est la véritable tradition démocratique. Les rois de l’Europe aujourd’hui ne représentent point autre chose que la démocratie couronnée, protectrice de l’égalité, dominatrice des individualités aristocratiques de tout genre. La vaillante et féodale Pologne, la vaillante et féodale Hongrie, domptées et subjuguées par l’alliance des empereurs et des masses populaires, témoignent, par leurs malheurs, de cette tendance, comme la destruction deux fois répétée de la monarchie des Stuarts, par l’alliance de l’aristocratie et du peuple, témoigne de la tendance contraire. Cette manière de comprendre la démocratie est propre à tous les peuples latins et d’origine romaine, propre à tous les peuples